Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impatiemment cette ingérence ; ils craignaient qu’elle n’aboutit à une sorte de protectorat collectif de l’Europe sur les trois vilayets. L’entrevue de Reval, où le Tsar et le roi Édouard se mirent d’accord sur un programme de nouvelles réformes à introduire en Macédoine, décida les partisans de la révolution à agir sans délai. Ces faits et leur caractère sont trop connus pour qu’il soit nécessaire d’y insister : la révolution de 1908 a été d’abord nationaliste turque ; elle n’a été, en même temps, « libérale, » au sens occidental du mot, que pour une petite élite, composée surtout de civils. Tout son développement ultérieur resterait incompréhensible si l’on méconnaissait ce point de départ. Le premier article du programme des Jeunes-Turcs était : ottomanisation, c’est-à-dire égalité de toutes les races dans l’Empire ottoman, élimination des étrangers ; il s’appliquait tout particulièrement à la Macédoine. C’est là que la révolution est née en 1908, de là qu’elle est partie en »1909 pour s’emparer de Constantinople ; c’est là que la plupart de ses héros et de ses hommes politiques ont vécu et se sont formés, et c’est encore là qu’aujourd’hui ses destins sont en suspens.

Les chrétiens de Macédoine, les Bulgares surtout, accueillirent avec enthousiasme une révolution, faite au chant de la Marseillaise, qui leur promettait la sécurité, l’égalité, la prospérité matérielle. On sait aussi de quel poids fut, pour le succès des révolutionnaires, le concours des Albanais, tant musulmans que chrétiens[1]. Sans eux, sans les chrétiens de Macédoine, ni la proclamation de la Constitution en juillet 1908, ni l’expédition de Mahmoud-Chefket en avril 1909 n’auraient été possibles. Assurément, si l’on scrutait le fond des cœurs, on trouverait, chez les Bulgares surtout, les traces d’une déception : la révolution anéantissait les espérances nationales des Slaves et leurs rêves de réunion à la Bulgarie ou à la ; Serbie ; mais un régime libéral aurait eu aisément raison de ces regrets superficiels ; la grande masse des paysans était également satisfaite d’être débarrassée des Comitadjis et des troupes chargées de les poursuivre. Une justice égale pour tous, une réforme de la perception des dîmes, auraient ôté aux agitateurs tout prétexte et, en tout cas, tout succès. Si les paysans bulgares avaient eu les sentimens qu’on leur prête aujourd’hui pour les besoins

  1. Voyez la Question albanaise, dans la Revue du 15 décembre 1909.