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Djavid bey peut affirmer que tous les récits des atrocités commises en Macédoine sont des mensonges inventés par les Bulgares. En Vieille-Serbie, les paysans serbes sont molestés à la fois par les soldats turcs et par les Albanais musulmans ; ils s’enfuient par bandes au Monténégro où plus de 2 500 trouvent encore un asile. Les Bulgares se réfugient chez leurs frères du royaume ; d’autres, formant de petites bandes, se mettent à battre le pays comme aux plus mauvais jours de 1903 ou de 1904 ; plusieurs attentats contre les voies ferrées, notamment à Koumanovo, signalent leur passage. Ces bandes se grossissent de tous les malheureux qui fuient la torture ou dont les récoltes sont pillées, les maisons brûlées.

Dans le Caza de Yenidjé-Vardar (vilayet de Salonique), l’opération du désarmement fut particulièrement atroce. Les Turcs espéraient y trouver les preuves des accointances des paysans avec le chef de bande Apostol, qui tient la campagne dans la région. Il est bon, à titre d’exemple, de raconter ces faits en détail. Le 14/27 septembre, la ville de Yenidjé-Vardar est cernée par les troupes : ordre est donné aux habitans de livrer leurs armes ; le 16/29, les maisons des Bulgares sont gardées par la troupe et les perquisitions commencent ; durant quatre jours, aucun habitant, homme, femme ou enfant, ne peut sortir de sa maison même pour aller chercher de l’eau ou des vivres ou faire boire le bétail. Environ trois cents hommes sont arrêtés, sous prétexte qu’autrefois ils avaient aidé les comitadjis ! L’un après l’autre ils sont couchés par terre et cruellement battus sur la plante des pieds, sur les paumes des mains, sur le ventre, sur la tête et sur le dos ; les membres meurtris, mutilés, ils sont jetés en prison où ils restent quatre jours sans boire ni manger, sans couverture ; beaucoup sont attachés à une poutre. Le principal prêtre bulgare est atrocement battu, puis, les membres en bouillie, il est jeté sur un matelas et porté au konak où il est tué d’un coup de fusil. D’après la version turque, il aurait pris le fusil d’un gendarme, qui se serait absenté un instant, et il se serait suicidé pour ne pas faire de révélations ; mais il paraît bien invraisemblable qu’avec ses mains broyées il ait pu saisir un fusil et se tirer une balle dans la tête ; il est plus probable que les Turcs, embarrassés de leur victime, ont préféré faire disparaître un effroyable témoignage de leur cruauté. Le dimanche 9 octobre, après trois semaines de blocus pendant