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dépit de tous les oracles, Panurge convolera. Cette Bachelette a pour parrain le seigneur de Basché qui, pareil à beaucoup de seigneurs de ce temps-là, ne s’entend pas à merveille avec la justice et les gens de loi que personnifie Chicanous. Le métier de Chicanous, huissier à verge, comme en plein théâtre de Molière, serait un mauvais métier et du plus piteux rendement, s’il n’y avait pas les coups, les coups que le débiteur traqué fait pleuvoir sur l’échine du pauvre diable, mais qu’il lui faut ensuite payer suivant un tarif minutieusement réglé. L’addition se monte parfois très haut. Pour complaire au seigneur de Basché, il faudrait donc trouver un moyen qui lui permît de passer sa mauvaise humeur sur Chicanous sans qu’il en coûtât rien à sa bourse. Or c’est la coutume, dans les noces tourangelles, qu’on s’y bourre de coups par manière de plaisanterie. Il n’est que de simuler une noce, où Panurge et Bachelette jouant le rôle de mariés recevront un semblant de bénédiction. Le hasard, ou plutôt une complication qu’il serait un peu long d’exposer, fait qu’on les bénit pour tout de bon, en sorte que les voilà bel et bien mariés. Panurge de désespoir se réfugie au couvent, où Bachelette trouve moyen de le rejoindre. Le sort en est jeté : Panurge entre en ménage. Et des deux époux ce n’est pas lui que je plains.

Ce scénario éminemment fantaisiste nous apporte, par instans, un écho du roman de Rabelais, un écho lointain, affaibli, vague et. à peine distinct. Quelques-uns dans la salle souhaiteraient peut-être à cette dilution un peu plus de saveur et de couleur. Mais c’est une infime minorité. Pour les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des Français, Rabelais est un nom et Panurge est une ombre. Le Panurge du théâtre Sarah-Bernhardt a en commun avec celui du XVIe siècle la gaieté. On ne lui en demande pas davantage. Ajoutez qu’il a trouvé en la personne de M. Galipaux un excellent interprète pétillant, gambadant, grimaçant et qui fait du personnage un ambigu de Panurge et de Polichinelle. La pièce est bien présentée dans de frais décors, avec une figuration nombreuse et des costumes pimpans. Il n’y manque qu’un peu de musique qui eût bien accompagné ce livret d’opéra-comique.


Il y a eu de tout temps une littérature de filles et de cabaret. Jadis la forme en était ignoble comme le fond, et nos grands-parens, qui aimaient à mettre en accord le mot et la chose, faisaient parler aux piliers de taverne et aux fleurs de bouge un langage assorti à leur condition. Nous avons changé tout cela, enseigné les bonnes manières