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Que le plan de dévolution de certaines lois à des parlemens locaux et de redistribution de sièges qui a été suggérée par Pacificus gagne faveur, ou que l’idée de quelque compromis différent et concernant uniquement l’Irlande, germe dans le cerveau fécond des hommes politiques anglais, peu importe. Une chose est certaine, c’est que tous les amis sincères de l’Angleterre souhaitent de voir entre les partis une transaction intervenir, tandis que tous ses adversaires se réjouissent de ses divisions. Les hommes qui ont, en ce moment, la charge de ses destinées seraient bien aveugles s’ils ne s’apercevaient pas que ce qu’ils ont mis en péril c’est le bon renom et la puissance de l’Angleterre : son bon renom, car on s’étonne de la légèreté avec laquelle elle s’est engagée dans une aventure constitutionnelle dont, au début, personne ne prévoyait la gravité ; sa puissance, parce qu’elle ne pèse plus du même poids dans la balance du monde depuis qu’on la sait coupée en deux. A des orateurs comme M. Asquith ou M. Lloyd George qui aiment à mêler à leurs discours des citations ou des comparaisons bibliques point n’est besoin de rappeler cette parole de l’Écriture : « Toute maison divisée contre elle-même périra. » Aussi serait-il suprêmement ridicule à quelqu’un qui n’est rien dans son propre pays de paraître leur donner un conseil, mais ayant été élevé dans l’admiration de l’Angleterre, et ayant suivi, depuis un an, avec un intérêt passionné, les affaires anglaises, il ne peut s’empêcher de leur rappeler cette parole de Macaulay à propos de la constitution des États-Unis : « C’est un vaisseau qui n’a que des voiles. » Certes, les voiles ne font pas défaut au vaisseau qui porte depuis tant d’années la Grande-Bretagne et sa fortune. Ces voiles, qu’un vent favorable a presque toujours gonflées, lui ont permis, sous la direction de pilotes habiles, de devancer les autres nations dans la route de la liberté et du progrès. Mais ce glorieux bâtiment a aussi un gouvernail et une ancre. Le gouvernail, c’est la Couronne ; l’ancre, c’est la Chambre des Lords. Qu’ils ne coupent pas cette ancre qui pourrait être l’ancre de salut et de miséricorde, car le jour où le bâtiment serait, en haute mer, secoué par la tempête, les flots soulevés pourraient bien endommager et même emporter le gouvernail.


HAUSSONVILLE.