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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/689

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LE MYSTÈRE DE L’INDE.

de la race aryenne, mélangée d’élémens inférieurs et alanguie de paresse. Il s’explique par la tristesse d’un peuple vieillissant entre la lassitude de la tyrannie et la lassitude de l’esclavage, d’un peuple sans perspective historique et sans unité nationale, ayant perdu le goût de l’action et n’ayant jamais eu le sens de l’individualité sauf aux temps védiques, où la race blanche dominait dans sa pureté et dans sa force[1]. Cela dit, il faut ajouter que le triomphe momentané de Bouddha en Inde est dû moins à sa philosophie qu’à son sérieux moral, à ce profond travail sur la vie intérieure qu’il sut inculquer à ses disciples. « Pas à pas, morceau par morceau, heure par heure, le sage doit purifier son moi comme l’orfèvre purifie l’argent. Le moi, auquel la métaphysique bouddhiste refuse la réalité, devient ici l’agent principal. Trouver le moi devient le but de toute recherche. Avoir son moi pour ami, est la plus vraie, la plus haute amitié. Car le moi est la protection du moi. Il faut le tenir en bride comme un marchand tient son noble cheval[2]. » De cette discipline austère se dégage, à la fin, un sentiment de liberté qui s’exprime avec le charme d’un François d’Assise : « Nous ne devons avoir besoin que de ce que nous portons sur nous-mêmes, comme l’oiseau n’a pas besoin de trésors, et ne porte rien sur lui que ses ailes, qui le conduisent où il veut. » Enfin, par la tendresse de son âme, Bouddha fut vraiment le créateur de la religion de la pitié et l’inspirateur d’une poésie nouvelle. Elle se traduit dans les paraboles attribuées au maître et dans les légendes postérieures du bouddhisme. Quelle insinuante et suggestive métaphore par exemple que celle sur les différens degrés d’évolution des âmes. La vie physique, troublée par les sens, est comparée à un fleuve au-dessus duquel les âmes aspirent à s’élever pour respirer la lumière du ciel. « Comme dans un étang de lotus blancs et bleus, il y en a beaucoup sous l’eau et hors de l’eau ; ainsi il y a des âmes très diverses, les unes pures, les autres impures. Le sage est celui

  1. On sait que le bouddhisme ne se maintint en Inde que quatre siècles environ. Sauf dans l’île de Ceylan, il disparut et se fondit en quelque sorte devant une recrudescence du brahmanisme. Celui-ci sut le vaincre, sans persécution, en absorbant ses élémens vitaux et en se renouvelant lui-même. On sait aussi que si le bouddhisme se propagea au Thibet, en Mongolie et en Chine, ce fut en reprenant une bonne partie des élémens métaphysiques et mythologiques que Bouddha proscrivait et en modifiant profondément sa doctrine.
  2. Sentences morales bouddhistes, résumées par Oldenberg.