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On ne saurait être plus net. Avec cette vigueur frappante et entrante de formule qui lui est particulière, M. Bourget nous définit à merveille le point de vue qui va être le sien dans « cette suite d’études sans conclusion[1]. » Point de vue de psychologue, point de vue, — il le croit du moins, — de simple curieux et de pur dilettante. Ces dix écrivains qui ont vécu, et ont produit entre 1850 et 1880, ont exercé une forte action sur les jeunes gens qui eurent vingt ans vers 1870 ; transportons-les donc, vivans ou morts, sur la table d’anatomie. Comment leur âme était-elle construite ? Quelle était la nature propre, la qualité particulière de leur sensibilité ? Quels sentimens originaux ont-ils ressentis, et, par l’intermédiaire de leur œuvre, ont-ils propagés et légués à ceux qui les ont suivis dans l’existence ? Que ces sentimens soient naturels ou factices, nobles ou bas, sains ou morbides, bons ou mauvais, il n’importe ; la question n’est point là ; il s’agit de savoir uniquement avec précision quels ils sont. Et c’est à la seule solution de ce seul problème que le psychologue doit employer tout ce qu’il y a en lui de finesse d’analyse, de pénétration ou de divination morale, de goût littéraire, de subtilité ou de force de pensée, de talent de style. S’il y réussit, il aura tracé le portrait moral de près de deux générations successives, puisque la seconde commence toujours par être le reflet ou l’écho de la première.

M. Paul Bourget, lui, y a pleinement réussi. Toutes les qualités que ses œuvres précédentes nous avaient successive-mont révélées, il les a manifestées et déployées dans ses Essais de psychologie avec une aisance heureuse, un éclat d’éloquence et une puissance de concentration qui emportèrent sur-le-champ l’adhésion ravie de presque tous ceux qui lui résistaient encore. Oui, je le sais, — et Scherer le lui a jadis assez, et d’ailleurs un peu inintelligemment reproché, — l’influence de Taine, de ses procédés d’analyse, de ses formules même, y est encore trop sensible. Mais que de pages profondes, fortes, vibrantes où Taine n’est pour rien ! Et il n’est pas jusqu’à la conception et à l’exécution du livre, qui, avec tout ce qu’elles devaient à Taine, ne différassent assez profondément des Essais de critique et d’histoire et de l’Histoire de la littérature anglaise. M. Bourget est un disciple, je le veux bien, mais un disciple

  1. De la critique psychologique, p. 400.