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nous leur envoyons et qu’ils en sont accablés. Le peu qui manque encore dans les détails administratifs est en route de tous les côtés ; s’ils ne vont pas de l’avant, c’est que cela ne leur convient pas ; adressez-vous à eux. » Voyant les jours s’écouler sans qu’on s’arrachât de Metz, j’écrivis à Le Bœuf : « Pourquoi ne faites-vous rien ? Décidez-vous donc. Je fais appel à votre patriotisme et à votre intelligence. Nous sommes étonnés que vous n’ayez encore rien fait. » (1er août.)

Dans le monde, on était stupéfait de notre immobilité. « La situation était si simple et si avantageuse, a dit depuis un général prussien, qu’un général allemand, qui en pareille circonstance eût négligé d’attaquer, eût été traduit devant un Conseil de guerre[1]. » Ne sachant pas encore combien nos maréchaux étaient innocens de cet anéantissement de la volonté guerrière, on les comparait à de vieilles femmes filant de la laine ou à des marchandes accroupies dans un marché auprès de leurs paniers d’œufs. Le roi Guillaume exprimait son étonnement à la Reine : « Les Français se retranchent comme s’ils choisissaient la défensive, ce qui est incroyable, après qu’ils ont mis une telle hâte à occuper la frontière[2]. » Même après l’événement, la stupéfaction ne cessa pas. La guerre finie, Le Bœuf passant à Amsterdam alla visiter la reine Sophie, amie fidèle et dévouée de l’Empereur et de la France. Elle s’écria avec véhémence : « Pourquoi donc n’avez-vous pas passé la Sarre ? »

A Paris, nous étions dans les transes. Tant de circonspection stratégique, après qu’on nous avait demandé tant de décision politique, nous paraissait incompréhensible. Aucun de nos actes diplomatiques n’avait plus le sens commun s’il n’était, ainsi qu’on nous en avait donné l’assurance, la préface d’une entrée en campagne rapide. Pourquoi, au lieu de ne nous concentrer qu’après avoir terminé la mobilisation, avoir concentré et mobilisé à la fois, malgré les inconvéniens tumultueux de cette méthode, si c’était pour ne pas avancer ? Pourquoi avoir réuni les approvisionnemens à la frontière, si c’était pour ne pas la franchir ? Pourquoi n’avoir distribué à nos officiers que des cartes d’Allemagne, si c’était pour attendre l’invasion de notre territoire ? Pourquoi surtout cette déclaration de guerre,

  1. Étude militaire, p. 57.
  2. Lettre du roi de Prusse à la reine ; — Mayence, 4 août 1870.