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l’adaptent même aux fusils perfectionnés qui leur parviennent, si bien que nous avons vu, contraste piquant, des fusils à répétition du dernier modèle pourvus par eux de cet appareil qui évoque les temps lointains du mousquet primitif.

Mais leur arme principale est une lance immense, de 5 à 6 mètres de long, exactement la même que celle des Lolos, et que nous n’avons vue nulle part ailleurs.

Le chef annonçant qu’il a choisi une belle place pour notre camp, j’exprime le désir que ce soit dans le village même, pour mieux observer. « Impossible, à cause des chiens, » répondent nos guides, « ils nous dévoreraient. — Eh bien ! on les attachera, » dis-je, un peu étonné de cette défaite qui me paraît, destinée à nous tenir à l’écart. Mais mes guides me regardent avec un étonnement non moindre, puis se mettent à rire, et je crois bien que, mentalement, ils haussent les épaules.

De fait, on nous conduit dans une prairie bien unie, au bord de la rivière, et il faut s’en contenter. Une foule de jeunes gens et d’enfans nous entourent en un clin d’œil, nullement farouches, obligeans même et rieurs.

Mais où donc est ce grand village de Pan-Yu, célèbre dans toute la contrée ? On nous en a donc parqués bien loin que nous ne le voyons pas ? — Où est-il ? Mais là devant nous, à cent mètres au plus. — Et nous nous écarquillons les yeux, sans rien apercevoir que des palissades qui doivent enfermer des parcs à bestiaux ; si ! au centre de presque tous ces parcs s’élèvent de petits tertres circulaires en haut desquels sont juchés des groupes de femmes qui nous contemplent ; mais pas la moindre maison ni aucune tente.

Vivement intrigués, nous demandons au chef à lui rendre sa politesse en allant le visiter dans sa demeure. « Avec plaisir, nous dit-il, mais faites bonne garde : ayez tous un sabre ou au moins un bâton ; que ceux qui sont sur les flancs et par derrière protègent les autres ! » Et lui-même, tirant son épée, prend la tête de notre troupe. Qu’est ceci, et quels dangers nous menacent ?

Il avait eu raison de nous prévenir, le brave chef ! Quand nous approchons de la palissade, une douzaine d’énormes molosses étaient couchés tout autour s’avancent sur nous d’un pas résolu : il faut que nous nous mettions à faire des moulinets avec nos gourdins pour maintenir à un ou deux mètres ces