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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/202

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Le quatrième jour, à sept heures du matin, mon maître est déjà prêt ; il part prendre sa douche, je sais qu’il a peu dormi depuis quatre jours que nous sommes ici. Il me dit qu’il entend des choses anormales la nuit, et je suis tout disposé à le croire puisque, tout éveillé, assis sur une mauvaise chaise qui me fait mal à moi aussi, j’entends des bruits que je ne peux m’expliquer. J’ai sûrement le système nerveux un peu tendu, mais cela ne m’empêche pas d’avoir tout mon esprit, et nous ignorons l’un comme l’autre ce qu’on appelle ordinairement la peur. Que cette maison soit hantée ou pas, cela nous laisse indifférens, mais tout de même, nous voudrions bien prendre un peu de repos. Enfin, la nuit dernière, puisque nous ne pouvions pas dormir et que des souris passaient sous nos yeux en groupes, comme des patrouilles en reconnaissance, la lumière ne les gênant nullement, nous avons organisé un jeu d’embûches pour ces imprudentes.

Avec le filet à provisions et quelques autres engins inventés pour la circonstance par mon maître, nous avons capturé trente-deux de ces bestioles, qui subirent sur-le-champ le sort du martyr saint Laurent. Seulement, au lieu du gril, elles eurent l’honneur d’un grillant feu de joie. Mon maître n’est qu’à moitié satisfait du résultat, car on n’a pas pu prendre un seul rat, et ce sont les rats, paraît-il, qui font ce bruit qu’on ne peut s’expliquer.

L’après-midi qui suivit ce sacrifice, j’allai avec mon maître à Divonne ; nous avions pris mon sentier préféré. Il accéléra le pas, au point que j’eus peine à le suivre. Après quelques minutes de cette allure, il ralentit tout à coup son train et, de la main, il désigna un grand Christ qui domine l’entrée du cimetière : « C’est sûrement l’homme le plus intelligent, le mieux organisé qui soit venu sur la terre. Quand on pense à tout ce qu’il a fait ! Et il n’avait que trente-trois ans quand ils l’ont crucifié !… Napoléon Ier, que j’admire, dans son génie seulement, disait : « Dans tout ce qu’a fait cet homme, — Dieu ou non, — il y a quelque chose de mystérieux, d’insaisissable, aux… »

Ici, mon maître s’arrêta, nous avions dû nous garer sur le côté de la route pour laisser passer un troupeau de belles vaches rousses qui allaient au pâturage.

Nous sommes arrivés au bourg : mon maître y loue une moitié de chalet avec une cuisine. Le soir même, nous y sommes