saisissante, angoissante, mais rare, exceptionnelle, inouïe. Il faut et il suffit… Pour établir cette situation, il n’y a ni invraisemblances qui coûtent à l’auteur, ni impossibilités dont il ne fasse bon marché. Il ne tient nul compte ni de la nature, ni de la logique, ni de l’expérience. Ce sont les figures grimaçantes créées par le cauchemar et qu’un cri, le son d’une voix humaine ferait évanouir. On n’imagine rien de plus conventionnel, de plus factice, de plus parfaitement en dehors de l’humanité et de la vie. Par là même ce théâtre manque son effet. Nous n’arrivons à prendre ni au tragique, ni même au sérieux cette gesticulation et ces rodomontades. De loin, nous admirons les lutteurs forains et l’énormité des poids qu’ils enlèvent dans l’effort puissant de leurs « doubles muscles ; » de près, nous apercevons le truquage, nous devinons que ces poids sonnent le creux et qu’ils sont vides ; nous laissons ce spectacle aux badauds et nous passons.
Les trois actes de Après moi s’encadrent dans la somptueuse villa qu’un opulent financier, M. Bourgade, s’est fait bâtir à quelques kilomètres de Dieppe. C’est l’époque des villégiatures. Il y a dans la maison des tas d’invités, dix-neuf exactement, parmi lesquels plusieurs invitées, ce qui permet de varier le plaisir du bridge par d’autres distractions. On se fait d’une chambre à l’autre de petites visites, qui ne tirent pas à conséquence. Société brillante, mais un peu mêlée. Nous surprenons entre une duchesse et un compositeur de musique un bout de dialogue qui nous donne une haute idée de la moralité des duchesses qui couchent sous le toit des financiers. La soirée tire à sa fin : on échange, avant d’aller dormir, quelques propos ailés. Ce genre de conversation mondaine, spirituelle, perverse et légère n’est pas celui où excelle M. Bernstein. Mais il n’attache à ces premières scènes que peu d’importance. Elles servent uniquement à occuper le tapis, je veux dire à permettre aux spectateurs retardataires de gagner leur place. Voici le drame qui va commencer.
Il débute par une grande conversation entre M. Bourgade, Mme Aloy et James. À mesure que se poursuit l’entretien qui réunit ces trois personnages, nous voyons leur figure se dessiner devant nos yeux, ou du moins, d’après les indications qui nous sont fournies, nous nous en formons une certaine image. M. Bourgade est un grand honnête homme. Il jouit d’une réputation solidement établie : il est de ceux à qui va l’estime universelle, dont le nom est synonyme d’honorabilité proverbiale. De sa probité en affaires, ne parlons même pas : cela est superflu et tout éloge que nous en ferions paraîtrait injurieux. Il manie d’énormes capitaux ; il est un des rois du marché ; jamais un