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La prison de Trêves se distinguait par la sobriété des menus. Des cuillers de bois y furent longtemps la seule vaisselle de table ; les fourchettes étaient inconnues ; on n’avait de viande, à proprement parler, que quatre jours par an ; avec l’appui d’un surveillant, les prêtres eurent tardivement la permission d’en faire acheter une demi-livre chaque semaine.

La prison de Sarrebrück, où l’on domiciliait aussi les délinquans du diocèse de Trêves, était réputée la plus dure : le chapelain Isbert, qui y passa trente-deux mois, y subit des privations auxquelles il ne devait pas longtemps survivre. Tant de prêtres s’y entassaient que la voiture cellulaire qui desservait l’établissement avait reçu dans le pays, par allusion au Culturkampf, le nom de Culturwagen. Ils obtinrent licence, tardivement, de faire venir leur nourriture du dehors, à la condition qu’ils promissent de ne plus faire courir après eux le gendarme lorsqu’une incartade future, — ce serait, dans l’espèce, une messe, — les désignerait à de nouvelles rigueurs.

Car, depuis le directeur de la prison jusqu’au dernier geôlier, tous savaient qu’on reverrait ces prêtres, que, leur peine expirée, ils ne sortiraient du cachot que pour commettre un nouveau délit de messe, de confession, d’extrême-onction, qui bientôt les y ramènerait. Au jour de leur rentrée dans la paroisse, des files de fidèles se formaient, cheminaient, jusqu’au village voisin, pour attendre le curé et lui faire escorte ; les petites filles, épiant son arrivée, désertaient l’école, en masse, afin de se faire bénir, et des chants s’élevaient, des rosaires se murmuraient, pour fêter son nouveau séjour, courte étape entre deux incarcérations. Comme s’il n’existait ni loi ni prison ; ce prêtre recommençait d’agir en prêtre ; et tous les paroissiens, revenant quérir les sacremens, étaient complices de son crime. Au jour où des policiers les interrogeraient pour lui faire un nouveau procès, leurs bouches demeureraient closes : ils aimeraient mieux payer l’amende pour refus de témoignage, que d’aider à l’intolérance de la justice prussienne.

On crut avoir raison de ces gens d’Église, que soutenait l’enthousiasme des laïques, en leur interdisant de séjourner dans le district auquel appartenait leur paroisse : mais ils rebondissaient, à l’improviste, là où les avait placés la consigne de l’évêque ; ils engageaient avec la maréchaussée d’interminables parties de cache-cache ; et les policiers avaient souvent houle de leurs