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chez elle. Les bureaux de poste furent avertis ; en Posnanie, ils reçurent un fac-similé de l’écriture de Ledochowski, avec ordre de livrer à la justice toutes les lettres dont l’enveloppe trahirait la main de l’archevêque. Et puis les policiers coururent les presbytères, pressant les prêtres de questions, perquisitionnant, les faisant poursuivre, parfois, pour refus de réponse ou de témoignage ; on voulait savoir d’eux quel était le délégué secret de l’évêque. Un moment, dans le diocèse de Posen, vingt doyens furent sous les verrous, et le chiffre des prêtres qui étaient l’objet de poursuites disciplinaires dépassait trois cents. Dans l’Eichsfeld, on les questionnait sur les dispenses matrimoniales qu’ils avaient procurées à certains de leurs paroissiens ; comment les avaient-ils reçues ? d’où leur venaient-elles ? L’intermédiaire qui les avait transmises était naturellement inculpé d’une connivence coupable avec l’évêque Martin : cela s’appelait « participation à l’exercice illégal de la fonction épiscopale. » En Posnanie, un propriétaire laïque, même, fut un jour inculpé sous ce chef ; il avait mis à la poste le décret papal qui suspendait un prêtre : tel était son crime. Un prélat à qui des laïques avaient confié une adresse de félicitations pour Ledochowski fut soupçonné d’être le délégué ; mais les preuves manquaient ; et la maréchaussée prussienne continuait, à travers la Posnanie détestée, une chasse pitoyable et malheureuse. On la crut décisive, enfin, lorsqu’on eut mis la main sur le chanoine Kurowski : le délégué secret de Ledochowski, c’était lui… « Il ne faut pas être prophète, déclarait triomphalement l’avocat général, pour conclure que l’heure de Sedan a sonné pour la hiérarchie catholique en Prusse. » Kurowski fui condamné à deux ans de prison ; et comme le coadjuteur de Posen, Janiszewski, était lui-même interné, comme le coadjuteur de Gnesen, Cylichowski, était sous les verrous pour délit de consécration des saintes huiles, la Prusse se flattait sans doute que dans le diocèse de Posen la hiérarchie était désormais sans voix… Mais la Prusse se trompait : d’avance un personnage était désigné, qui devait éventuellement remplacer Kurowski comme délégué de l’évêque, dût-il ensuite le rejoindre en prison, et le correspondant d’un journal polonais déclarait que si, dans le clergé séculier, les représentans du primat prisonnier venaient à manquer, ce rôle passerait à des missionnaires qui travailleraient en Prusse comme ils travaillaient en Chine.