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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/377

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complice de Magon de la Blinaye. Elle est de Saint-Malo et le rapport, dont vous êtes chargé, offre une occasion certaine que je ne retrouverai plus ; il faut mettre son nom dans le rapport. Quand on glisse le nom de quelqu’un dans une grande affaire, cela va ; et sur le nom désigné, on fait guillotiner : il suffit d’indiquer le nom des complices ; on fait l’appel, les têtes tombent, et pouf, pouf, ça va !

La femme dont Héron cherchait à se débarrasser par ce procédé expéditif auquel Sénart déclare n’avoir pas voulu se prêter, se nommait Modeste Desbois ; elle était Bretonne, native de Saint-Malo ou de Cancale ; elle appartenait à une famille honorable et ne semble pas avoir partagé les opinions de son mari. Il l’avait épousée en 1771, alors qu’il était officier de marine. Mais, depuis, ils s’étaient désunis, et il lui reprochait d’avoir un amant. Quoiqu’elle eût fait une tentative pour reprendre la vie commune, il s’était refusé à la revoir. Il l’accusait aussi de lui avoir volé, avec l’aide de cet amant, toute sa fortune, 600 000 francs en actions de la Caisse d’Escompte et les titres de ses propriétés. Si l’accusation était fondée, le prétendu vol n’aurait été qu’un moyen employé par la femme pour restituer cette somme à ses légitimes propriétaires, des banquiers de Paris, parmi lesquels figuraient Magon de la Balue, les frères Lecoulteux et les Vendenyver père et fils. Ils avaient chargé Héron d’aller recouvrer à la Havane une traite d’un million de piastres que l’intendance de Cuba leur avait emprunté deux ans auparavant. Après un long voyage, Héron était revenu sans rapporter l’argent que, disait-il, il n’avait pas touché et sans pouvoir représenter la traite, ce qui faisait supposer qu’il s’en était attribué le montant.

Berryer rapporte l’histoire un peu différemment. Il ne parle pas d’une mission confiée à Héron. Selon lui, celui-ci serait revenu de Cuba porteur d’une « lettre de livrance » sur le gouvernement espagnol de la Havane, que les banquiers à qui il l’avait présentée auraient refusé d’escompter, ce qu’il ne leur aurait pas pardonné. Ainsi s’expliqueraient l’arrestation de Magon de la Balue, des Lecoulteux, de l’ancien fermier général La Borde et des Vendenyver ainsi que la condamnation de ces derniers, qui furent impliqués dans le procès de Mme du Barry et exécutés avec elle. Plus heureux qu’eux, que La Borde et que Magon île la Balue, les frères Lecoulteux