Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rattache la poésie virgilienne. N’est-ce pas dans le Post-scriptum de ma vie que se trouve, à côté des plus injustes critiques, un commentaire enthousiaste de l’invocation à Auguste par laquelle s’ouvrent les Géorgiques ? Non pas, certes, que Victor Hugo admire, ni même excuse la pensée maîtresse de ce morceau célèbre, à savoir l’apothéose de l’empereur, son entrée parmi les dieux et les étoiles : c’est, déclare-t-il, une idée « misérable, » une « flatterie abjecte, » quelque chose de « plat et honteux. » Mais, après s’être ainsi mis en règle avec sa foi républicaine, l’artiste, qui ne meurt jamais en lui, se laisse prendre à la poésie éclatante dont l’auteur latin a revêtu son adulation : il « entre en vision » devant le « prodigieux ciel » qu’évoquent ces majestueux hexamètres ; il n’a plus le loisir de songer à ses défiances de tout à l’heure. « Par l’idée, j’étais dans le petit, et par le style, me voilà dans l’immense. » Cette théorie ne suppose-t-elle pas une indépendance trop absolue du fond et de la forme ? Ce n’est pas ici le lieu de le rechercher ; il nous suffit qu’elle ait fourni à Hugo un moyen de rectifier ses paroles dédaigneuses à l’endroit de Virgile, et, tout en restant impitoyable pour le « courtisan, » de réhabiliter le « poète, » — qui, en définitive, seul nous importe.

Si, même alors que la passion politique lui parle avec le plus de violence, il sait quelquefois la faire taire pour n’entendre plus que le chant harmonieux de la poésie virgilienne, à plus forte raison est-il plus équitable encore après l’exil, lorsque sa vieillesse quasi royale l’incline à une indulgence de plus en plus large et compréhensive. A vrai dire, Virgile ne reprend pas la place privilégiée qu’il occupait quarante ans plus tôt dans ses affections ; il ne redevient pas le maître unique et suprême : il est un des maîtres, rien de plus, mais rien de moins. Des vers des Géorgiques et de l’Énéide, des Bucoliques surtout, sont imités dans la dernière Légende des Siècles, dans l’Année terrible, dans l’Art d’être grand-père, et jusque dans le Pape ou Pitié suprême. Le nom de Virgile est quelquefois omis, mais plus communément cité, dans les listes de grands penseurs et de grands poètes que Hugo aime à énumérer d’une voix sonore pour magnifier le prestige de l’art. Entre Virgile et César, la même antithèse est dressée (et tout à l’avantage de Virgile) qu’entre Voltaire et Napoléon, et que sans doute aussi entre Victor Hugo et Napoléon III. Mais, plus que des imitations