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lendemain de la grève des cheminots, qui avait compromis et alarmé un grand nombre d’intérêts. La résolution montrée par le gouvernement au cours de cette grève, la fermeté de son attitude, la promptitude de son action avaient inspiré confiance, on en savait gré à M. Briand : sa situation personnelle était très forte et il ne tenait qu’à lui d’en profiter et de nous en faire profiter. Lorsqu’on a appris qu’il congédiait son ministère, on a cru qu’il allait faire quelque chose d’important et que ses projets seraient révélés par le choix de ses collaborateurs ; mais dès que ceux-ci ont été connus, et que, parmi eux, on a découvert M. Lafferre, le désenchantement a commencé. A partir de ce moment, la situation personnelle de M. Briand a été ébranlée parce qu’on a eu le sentiment, ou qu’il ne comprenait pas ce que le pays attendait de lui, ou qu’il ne voulait pas s’y prêter. Le dépôt de projets de loi dont quelques-uns ont été attendus trop longtemps et dont quelques autres soulevaient de sérieuses critiques n’a ni rassuré, ni ramené les esprits. Évidemment les jours du Cabinet étaient comptés et M. Briand est trop intelligent pour ne s’en être pas rendu compte : sa démission, qui n’avait rien d’obligatoire, montre bien qu’il l’a fait. Tout cela ne doit pas nous faire oublier les grands services qu’il a rendus. Le premier, il a fait entendre les paroles que le pays attendait et qui ont eu partout un si profond retentissement. La volonté, par malheur, n’était pas aussi ferme qu’il l’aurait fallu, et le reproche qu’on a adressé à M. Briand de parler mieux qu’il n’agissait était fondé. Néanmoins, nous lui devons de la reconnaissance parce que, s’il n’a pas été tout à fait l’homme de la situation, il en a été le représentant, l’orateur et le prophète ; il en a favorisé l’évolution ; il l’a aidée à se manifester et à prendre de la force ; elle n’est plus après lui ce qu’elle était avant. C’est ce qu’il a dit, non sans quelque mélancolie, mais non sans fierté non plus, dans la lettre qu’il a adressée à M. le Président de la République en lui remettant sa démission. Il avait la majorité ; il aurait pu continuer la lutte ; pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? C’est, a-t-il expliqué, parce que, ayant voulu faire l’union du parti républicain, il y avait échoué. « L’appel, écrit-il, que j’avais adressé à tous les républicains en vue de réaliser, d’accord avec le gouvernement, au profit du pays et de la République, une politique de détente et d’apaisement ; de poursuivre, sous le régime de la séparation des Églises et de l’État, une œuvre de laïcité raisonnable, tolérante, respectueuse de toutes les croyances ; d’assurer enfin à tous les citoyens la stricte et égale justice administrative, cet appel, ou n’a pas été compris par certains, ou, défiguré par