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Mais là s’arrête notre approbation : nous ne pouvons pas retendre au ministère des Affaires étrangères. Il est très regrettable que M. Pichon n’y soit pas resté, car il avait la confiance du corps diplomatique et il la justifiait par son bon sens, son application aux affaires, sa loyauté. Il laisse derrière lui une œuvre qui lui fait honneur, et nous reconnaissons qu’il était difficile de le remplacer. Mais on ne s’attendait pas à M. Cruppi. Loin de nous la pensée de discréditer le nouvel hôte du quai d’Orsay ; il est intelligent et laborieux ; il apprendra sans doute ce qu’il ne sait pas encore ; néanmoins, sa nomination a surpris. La situation générale de l’Europe, sans être alarmante, est très compliquée en ce moment ; les fils en sont un peu embrouillés. Il fallait un homme très au fait des choses et capable d’y faire face tout de suite. Pourquoi donc le choix de M. Monis s’est-il porté sur M. Cruppi ? Ici nous ne sommes pas dans le champ des hypothèses : M. Monis n’a pas choisi M. Cruppi, il l’a pris faute d’autre, après avoir offert successivement le portefeuille des Affaires étrangères à M. Ribot, à M. Poincaré et à M. Develle. Tous les trois ont refusé. Nous ne voyons pas M. Ribot dans le ministère actuel : sa réponse à M. Monis n’était pas douteuse. M. Poincaré a trouvé aisément une défaite et a, lui aussi, gardé sa liberté. Que faire ? Il fallait pourtant un ministre des Affaires étrangères : où dénicher cet oiseau rare ? M. Monis a songé à M. Develle, qui est passé au quai dOrsay autrefois et y a laissé de bons souvenirs ; mais M. Develle, lui, songeait si peu à M. Monis qu’il était parti pour son département. Il a fallu l’en faire revenir pour avoir… son refus, ce qui en faisait trois. M. Monis a jugé que c’était assez et s’est adressé définitivement à M. Cruppi, dont il était sûr. Son excuse est qu’il n’avait personne : le parti radical et radical-socialiste manque de diplomates. M. Briand s’était vanté autrefois de mettre chaque homme à sa place ; il ne l’avait pas fait, mais son successeur l’a fait moins encore. M. Cruppi est un juriste ; il aurait été à sa place au ministère de la Justice ; le sort, a voulu qu’on le mît aux Affaires étrangères. Puisse-t-il y réussir ? Nul ne le souhaite plus sincèrement que nous.

Les autres ministres ont moins d’importance. Quelques-uns, par hasard, s’étaient préparés à recevoir le portefeuille qui leur a été donné. M. Steeg était rapporteur du budget de l’Instruction publique et. il connaît les questions universitaires ; mais dans quel esprit les traitera-t-il ? Son langage s’est souvent inspiré de l’esprit de secte. M, Paul-Boncour est le Benjamin du Cabinet ; il n’a que trente-huit ans ; il est socialiste ; il a du talent de parole ; on lui a confié le