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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/525

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L’ESPRIT DE LA NOUVELLE SORBONNE.

intelligent d’une façon très générale. L’enseignement primaire a des parties d’enseignement secondaire. Mais enfin, prenons enseignement primaire et enseignement supérieur comme étant de même nature, comme étant tous les deux à peu près également des enseignemens pour l’utile. Si l’on passe directement de l’un à l’autre on ne se sera jamais cultivé généralement ; on ne se sera jamais appliqué à être intelligent uniquement pour être intelligent ; en un mot, on n’aura pas de culture.

Qu’en résultera-t-il ? C’est qu’on n’aura qu’une intelligence professionnelle, qu’un cerveau professionnel. Un avocat, un médecin qui aura passé de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur ne sera qu’un ouvrier. C’est déjà prouvé : les avocats, les avoués, les médecins qui ont, à la vérité, passé par l’enseignement secondaire, mais qui n’y ont pas pris goût et qui ne l’ont pratiqué qu’avec ennui, sont des ouvriers, pas autre chose. Ils sont quelquefois bons ouvriers, mais ils ne sont que des ouvriers.

— Qu’importe ? — Il importe en ceci qu’ils font leur métier en routiniers, qu’ils n’y apportent aucune sagacité, aucune pénétration, aucune finesse et qu’ils n’inventent rien. Ce sont les contremaîtres de leur profession, et leur profession, entre leurs mains, n’avance pas, ne se perfectionne pas, prend tout le caractère d’un métier manuel. Supprimez l’enseignement secondaire comme intermédiaire entre l’enseignement primaire et l’enseignement supérieur, vous aurez en dix ans une déchéance de toutes les professions libérales.

Ainsi ils parlent. Ils ont raison, et c’est pour cela que Thiers avait dit si carrément : « L’enseignement secondaire, c’est l’enseignement national. » Il voulait dire : les autres donnent un métier ; celui-ci fait le cerveau du pays. Ils ont raison. Seulement, cette déchéance, mettons si vous voulez cette plébéisation des professions libérales, c’est précisément ce que veut, obscurément peut-être, la démocratie. Elle déteste, chose assez naturelle, ce qui se distingue d’elle ; elle déteste l’esprit cultivé, elle déteste (tout particulièrement) l’homme qui, en dehors de son métier, a des clartés de tout ; elle déteste l’homme original (ou capable de le devenir) qui, peut-être, aura une pensée par lui-même et ne pensera pas selon sa classe et selon son parti, qui ne pensera pas tributim ; en somme, et cela va comme de soi, elle déteste l’individu.