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John Bull. Un ardent frémissement passe à travers les lies Bri-i tanniques, et, transmis par les fils des câbles sous-marins, gagne, sur d’autres hémisphères, par-delà les océans, sous d’autres étoiles, des terres différentes par leur sol, par leur climat et parfois par leur langue. Ce monde, dispersé à travers les mers, habité par toutes les races, pour la première fois, vibre à l’unisson. Et le 16 juin 1897, à Edimbourg, une voix s’élève pour proclamer l’avènement d’une ère nouvelle :


Le temps viendra où les relations entre la mère patrie et les colonies ne pourront demeurer ce qu’elles sont actuellement : elles se briseront ou se resserreront. La réponse à ce dilemme appartient à l’Angleterre, à l’Ecosse, à l’Irlande, car les colonies seront toujours disposées à cultiver la piété filiale à l’égard de la Grande-Bretagne, aussi longtemps que celle-ci les soutiendra… A mesure que les idées séparatistes disparaissent, des sentimens d’union plus étroite prennent leur place. Il existe, aujourd’hui, dans mon pays, un désir de rapprochement avec l’Angleterre… Nous sommes libres certes, dès maintenant ! Mais nous ne sommes que des coloniaux, et nous aspirons à être un peu plus que des coloniaux. Nous aspirons à jouer un rôle plus grand dans l’Empire britannique… Loin de vouloir reculer, nous ne demandons qu’à marcher de l’avant, et à avoir notre part entière dans l’Empire uni.


Quel est l’homme qui exprime, dans un langage aussi vibrant, cette aspiration fiévreuse vers une union plus étroite ? Ce n’est point un Anglais, pas même un Australien. Pas une goutte de sang anglo-saxon ne coule dans ses veines. Son nom a une sonorité étrangère. Son visage porte l’empreinte d’une autre race. Lorsque le peuple anglais entendit un étranger, un Canadien, un Français émettre le vœu que des liens nouveaux vinssent « resserrer » les chaînons trop détendus, élever « les coloniaux » à la dignité de citoyens, répartir également les avantages et les responsabilités du pouvoir, réaliser l’unité impériale, il connut toutes les émotions d’un fol orgueil. Il faut en avoir recueilli l’expression, lors du Jubilé, sur les lèvres des spectateurs et des témoins, pour en comprendre l’intensité. Je ne crois pas que les grenadiers de la vieille Garde entrant dans Vienne, après la capitulation d’Ulm, à Berlin, au lendemain d’Auerstaedt, aient éprouvé une fierté plus profonde, que celles ressentie lors de ces fêtes, par le dernier des petits bourgeois d’outre-Manche, paisiblement assis au coin de son feu, absorbé dans la lecture du Standard. Ce jour-là, le peuple anglais se