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évidence que la marquise de Cornulier a été impliquée après coup dans la même accusation que son mari.

Le terrible réquisitoire que nous venons de résumer avait été rédigé par l’accusateur public Fouquier-Tinville. On peut voir qu’il ne contient aucune preuve de l’existence d’un complot commun à tous les accusés, ni de la participation de la majorité d’entre eux aux faits qu’on reprochait à Magon de la Balue. Il leur fut distribué dans la soirée du 30 messidor, à la Conciergerie où, en vue du procès, ils avaient été tous amenés des diverses prisons où, jusque-là, ils étaient détenus.

Cette réunion donna lieu à des scènes émouvantes, surtout pour les membres de la famille Magon séparés depuis si longtemps. Magon de la Balue, venu de la prison du Luxembourg avec son frère Magon de la Blinaye, eut ainsi la joie de revoir sa famille et d’embrasser avant de mourir sa fille et ses petits-enfans. Sa vieillesse et ses infirmités avaient excité la compassion d’un de ses compagnons d’infortune, un sieur Thomas, marchand de toiles à Soissons, prévenu d’avoir fait évader un prisonnier à Saint-Malo, où il n’était jamais allé. Ce brave homme fut le témoin delà joie du vieillard auquel il avait prêté l’appui de son bras. C’est à lui qu’on doit de savoir que Magon de la Balue avait conservé tout son courage et qu’en ces heures affreuses, il s’efforçait de consoler ses enfans.

— Nous périrons, leur disait-il ; mais, du moins, nous mourrons innocens.

Il est plus aisé de se figurer le spectacle que présentait en ce moment le préau de la prison que de le décrire. Partageant le désespoir des siens, le petit Bertrand de Saint-Pern protestait contre son arrestation. Il ne voulait pas croire qu’on le condamnât à périr et, n’espérant pas que sa sœur serait sauvée, il lui promettait en pleurant de veiller sur ses enfans qui allaient être orphelins. Le jeune marquis de Cornulier était livré à la plus violente douleur, non pour lui, mais pour sa jeune femme. Pour tous ces malheureux, la nuit se passa dans les transes. Le matin venu, ils furent de nouveau réunis, afin d’aller au Tribunal. Le sieur Thomas, dont nous venons de parler, n’y fut pas conduit, étant parvenu à prouver qu’il était l’objet d’une erreur et qu’on le confondait avec un autre. On le ramena au Luxembourg, et comme il se plaignait de cette méprise au directeur de la prison, celui-ci lui déclara qu’il le ferait