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En ruisseaux, en remous, en vagues, en cascades,
Dansant dans les rayons réfractés du soleil,
Ont rempli mes deux yeux d’un tourbillon vermeil.
Je ferme en vain sur eux mes paupières meurtries,
Un flagellement fou, brûlant, de pierreries
Bat à coups lumineux les parois de mon front.
Je ne puis, par aucun effort de ma raison,
Eteindre cette énorme et douloureuse opale
Qui remplit de son feu la voûte cérébrale
Où doivent résider les ténèbres du Moi !
Et c’est presque un supplice ! Et je tremble d’effroi !
Quelquefois ces clartés, leurs remous, leurs tempêtes
Çà et là prennent vie et deviennent des bêtes,
Des paons prestigieux, des serpens ocellés,
Des lézards, des poissons ; tordus, entremêlés,
Ils se mangent entre eux, ils échangent leurs formes,
En entrelacemens, en grouillemens énormes
Gagnent de plus en plus comme un affreux levain.
Mon cerveau convulsé par leur avance est plein
Des enchevêtremens, des conflits, des batailles
De ces monstres luisant de plumes et d’écailles,
S’exterminant dans un massacre renaissant
Où toutes leurs splendeurs sont suintantes de sang.
Je voudrais repousser l’abominable vue ;
J’étends la main, ma main plus loin qu’elle est tendue !
Alors tout disparaît, tout devient de la nuit,
Où trône un monstre dur dont le regard me suit,
Un sphinx noir dont chaque œil est une grande opale.
Un flot froid de sueur court sur ma face pâle.
J’ai beau mettre mes mains sur mes yeux, et crier !
Il est en moi ! J’ai peur ! J’ai peur ! Je veux prier
Les Dieux sauveurs du Jour ! Je ne puis pas ! Je tremble !
Et le sphinx noir et moi, précipités ensemble,
Dans un choc effrayant qui détache ses yeux,
Nous tombons, nous tombons au gouffre ténébreux
Où l’on ne sait plus rien, pas même l’épouvante !

Même à présent, l’effroi de ces instans me hante !
Vers leur vertige obscur je me sens attiré,
Je sens les premiers bonds de mon cœur effaré !