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aux souffrances, qu’il entraîne ici-bas, il ne veut accomplir cette œuvre qu’avec le consentement des intéressés. Intervenir dans leur libre activité serait, au point de vue de Dieu, le pire des maux. Il pourrait, certes, s’il le voulait, forcer tous les hommes à être bons, mais il préfère en sauver un petit nombre, en tant que libres, que de les sauver tous, en en faisant des esclaves. » Belle maxime, dans la bouche d’un homme si grand partisan du principe d’autorité !

Les trois moyens, dont Dieu se sert pour appeler les hommes au salut, sont les révélations du Saint-Esprit, les Saintes Écritures et ses serviteurs depuis les Apôtres, en passant par les évêques et les pasteurs, jusqu’aux officiers salutistes. Le général Booth n’attribue, d’ailleurs, aucune vertu magique, pas plus aux rites de l’Armée du Salut qu’aux sacremens de l’Église ; il n’y voit que des « adjuvans » utiles pour la guérison des âmes. C’est Dieu seul qui est l’auteur du salut, c’est lui qui tend la main au pécheur qui se noie ; ce dernier n’a qu’à la saisir.

Le rôle joué par l’officier salutiste consiste à aller chercher la brebis égarée et à l’attirer aux réunions, sans la réprimander, en se contentant de lui témoigner une sincère compassion. Un cocher de fiacre racontait un jour à mon fils comment il avait été sauvé : il avait été ivrogne et allait devenir incapable d’exercer son métier, lorsqu’il rencontra, au cabaret, un salutiste qui lui fit voir le précipice au bord duquel il était, lui parla de Jésus et de sa miséricorde et, uniquement par l’expression de sa sympathie et la force de sa conviction, le corrigea de son vice et en fit un bon chrétien et un cocher fidèle. Il n’y a, sans doute, dans cette cure d’âmes, rien de bien nouveau, c’est, comme l’a dit W. Booth, l’application du old fashioned Gospel ; mais ce qui est neuf, c’est que cette œuvre de sauvetage moral, au lieu d’être réservée à des ecclésiastiques, est confiée à des laïques, à des femmes, souvent même à des salutistes à peine instruits et qui, hier encore, étaient des pécheurs. On raconte qu’autrefois la préfecture de police de Paris a employé Vidocq, le célèbre voleur, pour en découvrir d’autres ; de même, le général Booth considère de grands pécheurs convertis comme les agens les plus habiles à convertir, à leur tour, leurs pareils.

Chose remarquable : les officiers salutistes ne font pas de propagande pour telle ou telle Église ; ils exercent leur action, pour ainsi dire, en marge de toutes les Églises, sur les couches