Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/814

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les États-Unis d’Amérique, on constate que ce qui les fait traiter de puritains, c’est bien moins leurs croyances religieuses qu’un certain point de vue en morale, une certaine attitude à l’égard de la vie. Les dogmes théologiques sont très divers dans ces pays ; non seulement les sectes protestantes affichant des doctrines fort variées s’y rencontrent en grand nombre, mais nous y trouvons aussi des catholiques et des libres penseurs. Le puritanisme moral est beaucoup plus répandu que le puritanisme théologique, et l’on peut se demander si celui-ci est bien l’unique, et même la principale cause de celui-là. Les caractères constans du puritanisme sont en effet cette terreur, cette haine même de tout plaisir. Proscrire « les plaisirs qui ne font de mal à personne, » voilà bien, semble-t-il, l’élément essentiel, ou du moins l’élément le plus général du puritanisme. Car cet élément persiste de façon étrange, et se rencontre là même où il n’est pas fondé sur une doctrine religieuse. Il domine si bien toute la race dans les pays où il s’est installé, qu’on le retrouve comme un élément distinctif du caractère national. L’agnosticisme et l’athéisme comptent beaucoup d’adhérens en Angleterre, et il est assez curieux de remarquer que ces libres penseurs, détachés de tous les dogmes religieux, conservent une morale non seulement chrétienne, mais nettement puritaine. Cette crainte du plaisir les poursuit ; ce rigorisme est devenu un élément constitutif de leur nature, et ils ne peuvent plus s’en affranchir. D’autre part, on remarque la même chose dans le catholicisme anglais. Tels catholiques anglais, habitant Paris, en conservent si bien l’empreinte, qu’ils traitent la littérature française d’immorale, et osent à peine aller au théâtre !

Quelle que soit donc la croyance religieuse, nous rencontrons partout en Angleterre cette haine du plaisir, et, pour la dénommer d’un seul mot, nous nous permettrons de l’appeler « hédonéphobie » par analogie avec les phobies de la pathologie mentale. Certes, il ne faudrait pas donner ici au terme « phobie » toute sa valeur médicale, et si nous considérons l’hédonéphobie comme une maladie nationale en Angleterre, il ne faut, bien entendu, voir là qu’une analogie et non pas un véritable trouble mental. Parfois pourtant, l’hédonéphobie a quelque chose d’un peu morbide. Comme chez la plupart des mystiques et des fanatiques, on rencontre même de véritables névroses chez quelques-unes des personnalités puritaines les plus