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peuvent exceller, et dans la poésie lyrique, le roman et le drame, on ne peut aborder avec succès que des sujets où il ne soit pas question d’amour. C’est pourquoi les nouvelles, les récits de voyages ou d’expéditions militaires sont souvent bien faits. Pourtant, de quelque pays et de quelque race que l’on soit, c’est toujours l’amour qui intéresse et émeut le plus généralement. Donc, en Angleterre, comme partout ailleurs, les romans sont en général des histoires d’amour. Mais quel amour ! Jamais la passion, l’amour véritable, avec tous les tourmens du cœur et des sens, mais la sentimentalité fade et niaise de très jeunes fiancés, l’amour de tête qui n’a d’autre fondement que l’imagination. De tels romans ont pour sujet le moment des fiançailles ; le mariage une fois célébré, la pudeur tire un voile sur l’amour conjugal. Et, à ce sujet, il est curieux de constater qu’en Angleterre, quoique les jeunes filles aient beaucoup plus de liberté et soient beaucoup moins ignorantes de la vie qu’en France, beaucoup de femmes d’un certain âge conservent dans le mariage une candeur toute virginale. Cela tient sans doute à la pudeur exagérée qui vient du puritanisme, et aussi à un tempérament fait plutôt pour la tendresse que pour la passion.

L’amour vrai, sérieusement dépeint, est banni par les romanciers anglais, si bien qu’en français le nom de « roman anglais » est devenu synonyme de roman pour les jeunes filles. Il est évident que, dans une pareille littérature, il n’y a pas de place pour l’amour coupable, et si par exception il est question d’adultère cela est le plus souvent conté en termes voilés. Bien entendu, il n’est guère question ici que de la moyenne des écrivains, des romanciers généralement aimés du public, et qui sont le plus lus. Même l’œuvre d’aussi bons écrivains que Stevenson, Marion Crawford, Seton Merriman, procède de ce point de vue. Il faut ajouter que les meilleurs auteurs échappent encore parfois aujourd’hui, comme ils l’ont toujours fait, au puritanisme. Un Hardy, Un Meredith, même un Hichens n’en sont guère infectés, mais ils sont rares et ne sont pas les plus aimés du public. Et si nous quittons le roman pour considérer la poésie, nous constatons encore la même chose. Le grand Swinburne, mort récemment, qui maniait superbement des vers d’une si magnifique sonorité, mit longtemps pour faire reconnaître son génie. Lui, et quelques autres poètes se virent anathématiser et traiter avec horreur d’ « école charnelle, » et