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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/856

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Benvenuto Cellini, peu connu et injoué, pourrait-on dire, en France, mais représenté depuis vingt ans en Allemagne[1], grâce au kapellmeister Félix Mottl, avec une perfection rare et un succès toujours croissant. Je détache de cette étude quelques lignes de conclusion : « La vie de Berlioz a été changée et ruinée par l’infortune de Benvenuto. On ne peut croire que Berlioz n’en eut pas conscience, et qu’il ne connut pas toute l’iniquité du sort… Il est impossible qu’il n’ait pas su ce qu’il avait fait, qu’il n’ait pas su qu’il y avait plus de musique, plus d’idées, plus de force créatrice dans Benvenuto que dans tous les ouvrages réunis de ses contemporains ; que son œuvre était vraiment une création de génie, aussi différente de tout ce que faisaient les musiciens de son temps qu’un drame de Shakspeare est différent d’une pièce de Scribe, aussi supérieure aux œuvres d’un Meyerbeer ou d’un Halévy, qu’un Delacroix à un Léopold Robert ou à un Paul Delaroche. Et il a vu cette œuvre-là atteindre à grand’peine jusqu’au chiffre de quatre représentations, puis être ensevelie dans l’ombre pour toujours. » On ne peut pas en douter, Berlioz savait ce que valait son œuvre, et le succès même qu’elle obtint à Weimar, assez longtemps après, ne fit que raviver en lui la cuisante douleur que lui avait causée, en 1838, l’hostilité d’un public à peu près ignare et incurablement superficiel. Rappelons-nous les paroles qui lui échappent, dans une lettre du 10 février 1852, trois jours avant cette soirée de réhabilitation : « J’avais bien nettoyé, reficelé, restauré la partition avant de l’envoyer. Je ne l’avais pas regardée depuis treize ans ; c’est diablement vivace, je ne retrouverai jamais une telle averse de jeunes idées. Quels ravages ces gens de l’Opéra m’avaient fait faire là-dedans ! J’ai tout remis en ordre. » En 1855, il est lui-même à Weimar et l’on répète des parties de son œuvre. Avec quelle mélancolie amère il remonte parle souvenir à ce fiasco sinistre d’autrefois ! « J’ai été singulièrement attristé hier à la répétition du trio avec chœurs de Cellini en voyant avec quel aplomb l’orchestre, le chœur et les chanteurs l’ont exécuté, et en songeant aux tristes vicissitudes de cette partition égorgée deux fois en deux infâmes guet-apens !… Certainement il y a là une verve et une fraîcheur d’idées que je ne retrouverai peut-être plus. C’est

  1. C’est Liszt qui, le premier, a eu l’honneur de tirer des ténèbres le Benvenuto Cellini, en le faisant exécuter sur le théâtre de Weimar, en 1851.