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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/877

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le lever de rideau splendide jusqu’aux sombres scènes du dernier acte, dans un décor de féerie, ces palais bâtis en des lieux inconnus et sur terres ingrates, ces fontaines qui jaillissent d’un sol sans eau, ces arbres apportés de Fontainebleau ou de Compiègne, ce cortège d’hommes et de femmes déracinés aussi, transplantés là pour figurer le chœur d’une tragédie si lointaine à nos yeux, déshabitués de ces spectacles et de ces mœurs, qu’elle prend quelque chose du charme et de la grandeur d’une antiquité. (Tome VIII, vol. 1, page 480.)

De telles pages, s’élevant sans effort à cette hauteur de vues et de langage, sont rares et doivent l’être ; il serait malheureux qu’il n’y en eût pas. La fin du dernier volume où se trouvent rappelés, en un vigoureux raccourci, les vices de l’ancien régime et les raisons qui faisaient prévoir une révolution, est du même ordre, c’est-à-dire de tout premier ordre. C’est de l’histoire pensée, condensée dans un effort de synthèse que seuls les grands historiens peuvent se permettre, mais à quoi aussi on les reconnaît. « Pour qu’un homme soit sacré grand historien, écrivait naguère M. Seignobos, il lui faut réunir la sympathie du public et l’estime des gens du métier. Ces deux conditions se rencontraient encore il y a un demi-siècle, quand le métier n’était pas organisé ; elles deviennent de plus en plus incompatibles. Le moment semble venu où il faudra choisir. » M. Lavisse n’a pas choisi, et on ne saurait trop l’en féliciter. « Pour un jour de synthèse, disait Fustel de Coulanges, il faut des années d’analyse. » Évidemment, mais c’est ce jour qui compte, qui donne la fleur et le fruit.

Il y a bien un reproche qu’on pourrait faire à la nouvelle Histoire de France, un reproche qui serait à la fois juste et immérité. C’est d’être une œuvre collective. On a rarement vu, dit La Bruyère, « un chef-d’œuvre d’esprit qui soit l’œuvre de plusieurs. » Mais il ne s’agit pas ici d’un ouvrage d’imagination. Une Histoire de France digne de ce nom ne peut plus être l’œuvre d’un seul homme. Une vie entière, si longue et si laborieuse qu’on la suppose, serait à présent trop courte pour parcourir une aussi vaste carrière. Il faut la candeur de Nozière et de son camarade Fontanet, deux érudits qui usent leurs fonds de culottes sur les bancs d’une septième, pour entreprendre d’écrire une histoire de France « avec tous les détails, » en cinquante volumes. Les deux héros de M. Anatole France