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avait jamais vu d’aussi forcenée. Sous la forme du swadeshisme, l’esprit de révolte envahissait le domaine économique. Les « Volontaires nationaux » boycottaient les produits anglais et ne reculaient devant aucun attentat pour nuire au commerce britannique : de mai à septembre 1906, les usines et plantations avaient éprouvé par l’incendie plus de 35 millions de pertes ; en 1908, les Compagnies d’assurances refusaient de contracter des engagemens nouveaux. La communauté d’action avec le Deccan était caractérisée par le culte de Shivaji, anormal au Bengale « où le Mahratta ditch de Calcutta témoigne encore de la terreur causée par les raids audacieux des cavaliers mahrattes. » La renaissance de l’hindouisme, favorisée par le concours puissant d’Européens comme Bradlaugh, le colonel Orcott, Mme Blavatsky, Annie Besant, qui, sous le nom de théosophes, font l’apologie du védisme aux dépens du christianisme, portait en outre la révolte sur le terrain social et religieux.

Le programme de libération, exposé dans le Yugantar, qui était le plus populaire des journaux bengalis et que le gouvernement a supprimé en 1909, fut partout scrupuleusement suivi. L’organisation de groupes actifs recrutés dans la jeunesse, la préparation minutieuse d’incidens répétés, l’orientation des campagnes de presse, la réunion des fonds, la formation méthodique d’agens d’exécution inconsciens, la fabrication et l’importation d’armes, devaient aboutir au triomphe de la doctrine du Shaktimantra : « Les adorateurs bengalis de Shakti reculeront-ils devant le sang ? Le nombre des Anglais dans le pays n’est pas supérieur à 150 000, et quel est-il dans chaque district ? Si vous êtes fermes dans vos résolutions, un seul jour vous suffira pour mettre fin au régime anglais. » Tilakest trop intelligent pour avoir cru sérieusement au succès de ce plan ; mais il supposait que l’on pouvait obliger les Anglais, « par une agitation sans trêve et menaçante, à rendre graduellement aux brahmanes les réalités du pouvoir, comme le firent les derniers Peishwas, et à se contenter d’une souveraineté plus ou moins nominale. »

Il était temps de mettre hors d’état de nuire un agitateur si dangereux. L’apologie du meurtre de Mme et Mlle Kennedy, tuées à Muzzaferpur par une bombe qui ne leur était pas destinée, en donna l’occasion. Le 24 juin 1908, Tilak était arrêté à Bombay, jugé, condamné après s’être défendu par une brillante plaidoirie