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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/903

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Après avoir coordonné, de concert avec Tilak et ses amis, les efforts de l’agitation anti-britannique dans les régions les plus importantes de l’Inde, Krishnawarma comprit qu’il fallait leur assurer l’appui et les sympathies de tous les ennemis européens du gouvernement anglais. Il s’installe à Londres ; il adresse des renseignemens sur les affaires indiennes aux socialistes qui les utilisent par tactique parlementaire, aux Irlandais qui s’en servent par sympathie d’opprimés : les uns et les autres assiègent le gouvernement, multiplient les interpellations et sont si persévérans qu’on peut attribuer à leur intervention la plupart des concessions libérales de l’Indian Councils Act. Sous prétexte de philanthropie désintéressée, il fonde la Maison Indienne, sorte de cercle destiné aux étudians hindous, dont il peut ainsi surveiller l’évolution mentale et qu’il sait maintenir dans la haine des oppresseurs. Son journal l’Indian Sociologist propage ses enseignemens et ses théories chez tous ses compatriotes établis en Europe pour leurs affaires, leurs études ou leurs plaisirs.

Dénoncé par le Times que scandalisaient ses maximes sur l’assassinat politique, ses apologies de Milton le Régicide, de Washington et de Jeanne d’Arc, enfin les tendances de la Maison Indienne, il est obligé de quitter précipitamment Londres en juin 1909, pour éviter d’être compromis dans les poursuites judiciaires qu’il devine imminentes et qui aboutissent, après le meurtre sensationnel du Dr Lalcaca et du lieutenant-colonel Curzon Wyllie, à l’exécution de l’étudiant Dhingra et à l’arrestation de Savarkar. Il s’est réfugié à Paris. Tout en se tenant dans la réserve que lui impose l’état actuel de nos relations avec l’Angleterre, il relie toujours le nationalisme indien à ses amis de l’étranger. Ses compatriotes lui attribuent l’initiative du mouvement d’opinion qui détermina le gouvernement français à soumettre au tribunal d’arbitrage de la Haye le jugement de l’incident Savarkar.

L’emprisonnement de Tilak, l’exil de Krishnawarma, plus encore peut-être que la promulgation de l’Indian Councils Act, ont porté un coup funeste au mouvement nationaliste indien. Quelques chefs ont essayé de continuer la lutte : Agit Singh au Punjab, Bepin Chandra Pal, l’apôtre du Swaraj, Arabindo Ghose le rénovateur de l’ascétisme yoga ; mais, malgré tout leur talent, ils ne sont plus que « la monnaie de M. de Turenne. »