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Grattas agimus tibi. De ces trois mots du Gloria, sans y insister et comme en passant, Beethoven a fait une brève mais exquise formule de remercieraens et de souriante gratitude. C’est un des passages où se vérifierait ce que nous disions plus haut de la mélodie en quelque sorte oblique et qui s’insinue, de la mélodie aussi collective et symphonique, qui se répartit entre toutes les voix. Quel cantique ou plutôt quel poème de tendre reconnaissance est le Benedictus ! « Benedictus qui venit in nomine Domini. » Jamais peut-être, de moins de paroles, plus de musique n’a jailli. Pas un élément : ligne, mouvement, rythme, qui n’en soit admirable. Tombant et retombant sans cesse, la mélodie a presque la beauté d’un geste, d’une perpétuelle offrande. Elle fait songer au Manibus date lilia plenis de Virgile, ou bien encore à cet ange qu’on voit au Louvre, dans une Sainte Famille de Raphaël, et qui jette à pleines mains des fleurs. L’effusion du sentiment ou de l’âme a même abondance et même générosité. Il n’est pas jusqu’à la durée, au renouvellement éternel de cette cantilène, qui ne la rende encore plus belle et qui ne traduise le désir au moins d’égaler à l’infini des bienfaits de Dieu celui des actions de grâces humaines.

La demande, ou la prière, sous combien de formes le Beethoven de la Messe solennelle ne l’a-t-il pas exprimée ! Prière non seulement pour lui, mais pour tous, pour tous ses frères, où le caractère ultra-symphonique de l’œuvre apparaît comme le signe même de l’universalité. Tantôt c’est la miséricorde que la musique implore, et tantôt c’est la paix. Kyrie eleison ! Christe eleison ! L’appel au « Seigneur » n’est pas sans fierté, presque sans rudesse ; il y a plus de tendresse et d’humilité dans le recours au « Christ. » Sur le Miserere de l’Agnus Dei se déroule et semble se traîner la prière déchirante entre toutes. Il y a là comme un circuit prodigieux des voix, des instrumens, à travers des régions, inconnues jusqu’alors, de la musiiiue et de la douleur. Plus original encore est le dona nobis pacem. « Demander, écrit Beethoven, la paix extérieure et la paix intérieure. » La première demande est une sorte d’apostrophe, d’adjuration, où tout d’un coup, au son des trompettes de guerre, l’humanité semble reculer et défaillir d’horreur. L’autre requête au contraire, infiniment calme, peut-être à dessein monotone, se répète, s’obstine et s’achève en soupirs. Ainsi les deux formies de l’oraison finale nous rappellent que le royaume des cieux souffre ^iolence, mais qu’il cède également à la douceur.

Dans une Messe, et de Beethoven, de Beethoven le grand patient, l’éternel sacrifié, la souffrance et la mort, en un mot le sacrifice, ne pouvait manquer d’occuper une place éminente. Le Crucifixus est