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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 2.djvu/948

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Ce sont rarement les Altesses, les grandes vedettes des sphères officielles, étoiles des Tuileries, du théâtre ou de la finance. Mais, dans une élite plus rare et vraiment distinguée, ce sont les femmes de la petite cour aimable de Saint-Gratien, et d’autres encore, d’un cercle peu pénétrable du dehors, avec une nuance du « Faubourg, » les femmes de Feuillet, de Daudet, les paroissiennes de Sainte-Clotilde. Parmi les portraitistes attitrés de la femme, les van Dyck ou les Nattier, les Gainsborough, les Lawrence, les Cabanel et les Ricard, la clientèle d’Hébert a une note spéciale. Il traite peu ou point le grand portrait décoratif, le portrait de gala, pas davantage le portrait de « genre » ou de fantaisie, le « portrait de peintre, » pourrait-on dire, dont la Femme au gant de M. Carolus-Duran est le charmant modèle. Ce sont presque toujours des personnes pensives, assises, vues à peu près jusqu’à mi-corps, dans le format « buste agrandi : » pas de mouvement, pas d’accessoires, vètemens discrets et effacés, attitude neutre et indécise, légèrement « penchée, » long regard, demi-jour estompé d’un soir de fin de juin. Combien de fois ne l’a-t-il pas recommencé ce portrait de la « femme de trente ans ! » Avec quel soin il étudie le geste toujours précieux des mains, entrelace ou dénoue les doigts, et met un monde de rêveries dans une tête qui s’appuie à un bras replié ! Avec quelle attention d’orfèvre il cisèle l’attache délicate d’un col ! Il pousse la minutie jusqu’à distinguer dans les yeux la nuance de l’iris de l’ombre des prunelles : et dans chaque tableau, comme l’a dit un homme d’esprit, on sent qu’il compromet son cœur.

Mais de tout cet amas d’expériences féminines commencent à se dégager quelques idées générales. Le maître approche de la soixantaine : c’est l’heure des réalisations et des synthèses suprêmes. La secousse de nos désastres, l’écroulement de l’Empire, emportant la société charmante qu’il avait peinte, donnent à ses idées une envergure nouvelle. D’une émotion naquit une fois de plus un chef-d’œuvre. Le peintre de tant de beautés humaines et trop humaines voulut s’élever jusqu’à celle qui est, dans le monde chrétien, la plus haute expression de la femme : la Madone. Il fit la Vierge de la Délivrance.

Et il en fit d’autres encore : une Addolorala, une Vierge au chasseur, une troisième que je sais à Reims, une autre dont il fit présent à Léon XIII. Avec son infini besoin de perfection, il reprend sans cesse le même thème : celui-ci lui remplit encore, dix ans de sa vie. Pas plus cette fois que les précédentes, il ne songea d’ailleurs à idéaliser. Il avait déniché à Saracinesco une créature incomparable, une