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40 REVUE DES DEUX HfONDES. Le général tarïare. — Ah ! quand donc finira cette guerre toujours renaissante qui imprègne le sol de la patrie du sang de ses fils? Prince-Fidèle. — Elle ne finira, je le crains bien, que par l’extermination d’une des deux races... Pourtant la haine serait moins farouche peut-être, si les vainqueurs, après la victoire, traitaient les vaincus avec plus de clémence... Pas tant d’exécu- tions! Pas tant de sang !... Tout soldat qui ne peut plus défendre sa. vie devrait être sacré. Le général tartare. — On offre aux vôtres la vie sauve, s’ils se soumettent; tous refusent. Prince-Fidèle. — Leur héroïsme devrait être une raison de plus de les épargner. Le général tartare. — Que faire?... Notre devoir est d’obéir. Prince-Fidèle. — Pas jusqu’au crime. Une petite pierre peut quelquefois enrayer un lourd chariot. Nous, les chefs, en sacrifiant seulement notre vie, nous pouvons sauver des foules. Le général tartare. — Comment cela?... Prince-Fidèle. — En résistant à l’iniquité... Vous souvenez- vous?... Une autre guerre, toute pareille à celle-ci, le sac d’une ville, l’ordre au bourreau de faucher toutes les têtes, comme à présent; alors, un jeune chef, fou de douleur à l’idée d’un pareil carnage, trouve de tels accens pour supplier le général de faire grâce, ou tout au moins de restreindre les exécutions, que celui-ci consent à limiter la tuerie au temps que pourra mettre à se consumer une baguette de parfum. Le parfum s’al- lume, la première tête va tomber; mais le jeune chef, frémis- sant d’horreur, saisit la baguette, la réduit en poussière, et court au bourreau en criant: « C’est fini! c’est fini! on fait grâce! » Puis, comme il a désobéi, il va se briser la tête contre un rocher... A ce héros, le peuple éleva un temple, qui se dresse aujourd’hui encore sur une haute colline et dont les marches, depuis des siècles, n’ont cessé d’être jonchées de fleurs fraîches. Le général tartare, rêveur. — A ce héros, le peuple éleva un temple!...