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comme cela que je veux être vu, moi ! » Est-ce dans les heures bachiques que Musset fit cette réponse à une comédienne qui lui demandait : « Est-il vrai que vous vous soyez vanté d’avoir été mon amant ? — Je me suis toujours vanté du contraire. »

Ne croyez pas d’ailleurs que les portraits de tant d’acteurs célèbres empêchaient toujours les vivans de lâcher des mots poissards ou empruntés à l’argot. Qui sait d’ailleurs si les défunts n’eurent pas eux aussi leurs défaillances de langage et de tenue ? Nous les voyons toujours à distance, en grand costume, transfigurés par le temps, les préjugés et le besoin de juger en gros. Les plaisanteries au gros sel ne se débitent pas seulement sur la scène ; entre celle-ci et le foyer il n’y a que trente ou quarante pas, de même qu’entre le moi comédien et le moi privé les limites semblent parfois bien indécises. Mme Allan rentrant à la Comédie en 1847, après un long séjour en Russie, Mlle Mante sa doyenne, mécontente de ses grands airs, lui dit : « Eh bien ! Louise, tu ne daignes pas me reconnaître ? T’imagines-tu donc être de race, pour avoir la gueule doublée en taffetas noir ? » Coulisses et foyers en ont entendu bien d’autres ; histoires de maris minotaurisés, d’amans remplacés, repris ou cumulés, histoires que les moqués, à défaut des moqueurs, racontaient parfois eux-mêmes aux familiers du lieu. Un vieil abonné, qui passait volontiers une partie de ses soirées au foyer, arrive tout bouleversé : la veille, il avait surpris sa femme en flagrantes délices, se lamentait d’être le mari le plus trompé de France et de Navarre. « Pas de fol orgueil ! rectifia Labiche. Mais qu’avez-vous fait ? — Je suis allé de suite chez mon avoué ; après m’avoir écouté, il m’a interrogé : « Qui de vous deux a la fortune ? — C’est elle. — Alors ne plaidez pas ; vous serez ridicule. — Que faire alors ? — Rentrez chez vous, comme si de rien n’était, emmenez votre femme dîner au restaurant, puis au théâtre. — Mais je ne peux pas : ils m’ont vu ! » Un autre habitué du foyer, qui avait pour amie une demi-mondaine fort jalouse, rencontrant son ami le duc de G…, lui conte son ennui : « — Donne-moi un conseil. Quand la petite va savoir que ma femme est dans un état intéressant, comment ferai-je ? — Dis-lui que c’est de moi ! » répond l’ami.

Voici un des excentriques du foyer, Bâche, le Sosie du grand Debureau, engagé à la Comédie par Houssaye sur la recommandation de Banville et de Jules Sandeau, acteur