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Quelqu’un parlait du mariage annoncé d’une cantatrice, Judith s’écria : « Je n’y croirai que le jour où elle plaidera en séparation. » On sait que Judith continua la tradition des actrices qui se plaisent aux jeux de la politique ou plutôt des hommes d’État : ses Mémoires, assez amusans, sont prodigieux d’infatuation ; elle a tout su, tout connu, tout fait ; encore ne s’est-elle peinte qu’en buste.

Mme de Talmont, croyant avoir à se plaindre du duc de C… qui était fort laid, lança ce trait : « Je me venge en le regardant. » E. Perrin se rencontra un jour avec la grande dame : une comédienne, qui avait plus de talent que d’esprit, lui avait fait une scène violente dans son cabinet, et, comme on lui demandait quelle était son altitude pendant ce débordement d’injures : « Je la regardais vieillir, » répondit Perrin.

Th. de Banville, dans l’Ame de Paris, a décrit certain clan d’habitués de la Comédie, qui, par leur influence, formaient, eux aussi, une sorte de Loge infernale, mais leurs arrêts se manifestaient tout autrement. « Aux époques les plus illustres de la Comédie-Française, il y avait, à ce premier théâtre du monde, un groupe de spectateurs quotidiens, dont quelques-uns persistaient encore pendant une partie du règne de Louis-Philippe. Ces vieillards, — ils avaient toujours été des vieillards ! — qu’on nommait des Habitués, et qui étaient assis sur le devant de l’orchestre, à droite, étaient l’encouragement, le recours et la terreur des comédiens, qui les consultaient respectueusement, et les craignaient comme le feu. Mille fois plus redoutés que les critiques de profession, ils étaient la loi inéluctable. En effet, ils avaient vu tous les comédiens d’autrefois, savaient toutes les traditions, pouvaient réciter par cœur toutes les tragédies et toutes les comédies du répertoire…, et n’auraient pas laissé passer un effet empirique, ni une intonation douteuse. Assurément, ils ne protestaient ni de la voix, ni du geste ; leur mécontentement se trahissait à peine par un clin d’œil ou par une contraction du visage ; mais ces signes de leur blâme, si discrets en apparence, suffisaient pour que la faute fût irrévocablement corrigée à la représentation suivante. De même que les Habitués étaient infaillibles en tout ce qui concerne l’art de l’acteur, ils étaient aussi extrêmement savans dans l’art de la versification, telle qu’elle fut comprise au XVIIe et au XVIIIe siècle, et toute infraction à l’Art poétique de Boileau était sévèrement