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Le cycle du cocuage emplit à peu près toute la littérature « gauloise. » Les vers les plus jaloux du Misanthrope sont repris de Don Garcie de Navarre que Molière écrivait quand il n’était pas encore le mari d’Armande. Rien ne serait plus faux que de voir dans son théâtre une sorte de longue confidence personnelle. Il n’est pas le premier de nos lyriques. Pas plus qu’il n’est Voltaire, il n’est Victor Hugo ni Musset. Et M. Donnay ne pouvait commettre une telle méprise, précisément parce qu’il est lui-même auteur dramatique.

Sa conclusion résume en quelques mots toute son étude : « La philosophie de Molière, sa morale, son style, sont une philosophie, une morale, et un style de théâtre. C’est un homme de théâtre, le plus grand, le plus nombreux, le plus divers, le plus complet que nous ayons. » On ne saurait mieux dire. M. Donnay a donc eu bien raison de se placer au point de vue qu’il a adopté. Ses conférences, qui auraient pu n’être que charmantes, ont encore été très judicieuses. Cela n’empêchera pas les commentateurs de continuer à travailler sur le texte de Molière, et même de se réjouir sournoisement que M. Donnay ait augmenté dîme unité le nombre déjà respectable des commentaires attachés à ce texte. Ils commenteront, ils traduiront, ils trahiront. Et ils auront raison, eux aussi. Car nous avons une tendance irrésistible à tirer à nous les hommes de génie pour en faire nos contemporains : c’est une forme de notre admiration et une preuve que nous ne pouvons plus vivre sans eux. Les œuvres médiocres ou simplement estimables qui « ne sont que ce qu’elles sont » ne courent pas le danger de ces interprétations inexactes. C’est le privilège des grandes œuvres qu’à travers les siècles elles participent à la loi du changement, qui est celle même de la vie, et se chargent du poids de notre propre pensée. Chaque génération qui vient y apporte, en hommage, un contresens de plus.


RENE DOUMIC.