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Les conséquences de l’établissement des Normands en Neustrie furent considérables et heureuses pour la Normandie, pour la France, et même pour la chrétienté. D’abord, le flot des invasions est arrêté. La grande porte de la Seine est désormais fermée aux pirates. Les Normands de la Loire eux-mêmes se fixeront comme ceux de la Seine, moyennant la cession du comté de Nantes, qui leur fut abandonné par le roi Raoul en 927. Le pays, qui était abominablement désert, où la forêt avait reconquis une grande partie du terrain naguère défriché par les grandes abbayes, fut vite relevé de la ruine. Nous n’avons pas à entrer dans l’étude hasardeuse de ces fameuses lois de Rollon, dont la sagesse est célébrée par tous les annalistes ; il nous suffit d’en constater l’effet. La Normandie devint rapidement la province la mieux policée et la plus prospère de la France. Le premier besoin du pays était le rétablissement de la sécurité pour les personnes et les biens ; c’est le premier souci de ses nouveaux maîtres. Le vol est impitoyablement puni. Dans leur exagération même, les récits des vieux chroniqueurs peignent en traits naïfs l’émerveillement produit par cette transformation soudaine des mœurs. Il n’y a pas de plus stricts gendarmes que ces anciens pirates. La charrue reste la nuit dans les champs, les troupeaux n’ont plus besoin de gardien, les maisons n’ont pas de serrure, il est défendu de rien mettre sous clé. Les bracelets d’or de Rollon demeurent trois ans suspendus au « chêne à Leu » de la forêt de Roumare sans que personne ose y toucher. Rollon répond des vols, c’est pourquoi il n’est pas tendre pour les voleurs. La clameur de « haro » n’était pas un vain mot. Le résultat, nous le voyons par le moine bourguignon Raoul Glaber, qui écrit un siècle plus tard en parlant des ducs de Normandie : « Toute la province, qui était soumise à leur pouvoir comme la maison ou le foyer d’une même famille, vivait dans le respect inviolable de la bonne foi. En Normandie, on assimilait à un voleur ou à un brigand quiconque, dans un marché, vendait un objet trop cher ou trompait l’acheteur sur la qualité. »

Il n’est pas étonnant que le pays se soit vite repeuplé. D’ailleurs, il n’y a aucune raison de croire que les nouveaux maîtres aient dépouillé les anciens propriétaires, pas plus que