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nait la sagesse d'Athèna. Mais je crois qu'il n'y eut jamais un peuple raisonnable. La vie des hommes n'est jamais menée par la raison ; et l'on a tort de se figurer la religion des Grecs comme l'allégorie d'une doctrine rationnelle.

Barthélémy Hauréau, en tête de son Histoire de la philosophie scolastique, a inscrit cette parole émouvante : « Heureux les peuples qui n'ont pas de livres sacrés !… » Les Grecs ont eu leurs livres sacrés ; ou bien, ils en ont eu l'équivalent : les mystères d'Éleusis le prouvent. Et ils avaient un rituel, une liturgie ; ils avaient de savans exégètes, qui ne permettaient pas qu'on négligeât l'exactitude et la lettre du dogme et des cérémonies.

Dans sa belle Histoire des Grecs, Louis Ménard a complimenté ses héros de n'avoir pas été soumis à un clergé. Mais ils ont eu un clergé. Il est vrai que la plupart des fonctions religieuses étaient, en somme, des magistratures qu'on exerçait pendant une période assez courte. Cela ne modifie pas absolument le caractère du prêtre. Et nous savons qu'à Olympie, par exemple, — ailleurs aussi, — les fonctions religieuses appartenaient à quelques familles sacerdotales qui gardaient jalousement la tradition et maintenaient leurs prérogatives. Il n'y a jamais eu un peuple exempt de dogme et de clergé.

L'on se plaît à imaginer les Grecs comme des gens qui avaient inventé eux-mêmes la religion qu'il leur fallait : de cette manière, ils n'étaient pas accablés par des croyances faites pour d'autres et d'autant plus gênantes. Mais, sur l'Acropole et dans tous les sanctuaires de la Grèce, j'ai vu les traces nombreuses et abondantes de religions venues de loin, venues de partout, venues de l’Orient, père des dogmes. Les Grecs ne furent pas au commencement du monde ; et nous ne connaissons, dans l'histoire, aucun peuple qui ait la complète initiative de sa vie spirituelle.

La religion grecque a été une religion, et donc intolérante. Elle a exigé que Socrate bût la ciguë.

Seulement, il y a, jusqu'en cet épisode tragique, une sorte d'étrange sourire. Les propos de ce charmant philosophe, tels que les a consignés Platon, donnent à l'aventure de sa mort une beauté qui en est l'ornement radieux. Et Platon, qui aimait Socrate, ne semble pas indigné contre les juges ; il ne les accuse pas. On dirait que la condamnation même fut adoucie de courtoisie et de singulière aménité. Elle a quelque analogie avec