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larges tomes in-folio ; et quand le classement de ces papiers sera achevé, 200 volumes devront être ajoutés à cette collection. Dans tous, depuis les premières lettres échangées avec lord Melbourne, jusqu’aux dernières échangées avec lord Salisbury, se manifestent les mêmes sentimens et les mêmes convictions. La Reine, avec un héroïsme inconscient, non seulement n’a jamais cessé d’être elle-même, mais a toujours eu foi en elle-même, en tant que souveraine de ce royaume. Dès sa plus tendre jeunesse, alors qu’elle n’était presque qu’une enfant, « elle s’est prise au sérieux, » si l’on peut s’exprimer ainsi ; et son point de vue n’a jamais changé, malgré le cours des années. Le matin même de son avènement, et chaque jour depuis, elle n’a jamais eu l’air de douter que le pays fût sa chose, les ministres ses ministres, le peuple son peuple : ministres et parlemens existaient pour l’aider à gouverner. Elle était le souverain de son royaume, et la Couronne n’était pas à ses yeux la clef de voûte de l’édifice, mais son fondement même… Certes la Reine n’avait pas d’illusion sur « son droit divin » à gouverner, mais elle avait conscience d’un devoir merveilleux et mystérieux imposé par la divine Providence ; et cette obligation morale ne s’effaça jamais de son esprit. Le dogme avait peu de place dans sa vie intime, mais son caractère et sa conduite, comme femme et comme Reine, furent influencés par la conviction religieuse, profondément enracinée, que sa mission avait un caractère sacré. Elle a cru, et cette croyance a dirigé ses actes, que le gouvernement de son pays devait revêtir la forme d’une monarchie, dont elle n’était pas seulement le chef spirituel et temporel, mais le gardien désigné.


Quelques anecdotes connues éclairent cette conviction intime. Victoria avait une préférence marquée pour les Stuarts. Elle adorait Marie. Elle haïssait Elisabeth. Elle n’admettait pas qu’on lui rappelât que, si les Stuarts n’avaient point été détrônés, elle n’aurait jamais porté la couronne. Elle collectionnait leurs reliques, et quand lord Ashburnham lui montra tous les souvenirs qu’il avait su réunir et classer, Victoria, affirme M. Chevalley, fut saisie d’une profonde émotion.

Si elle admit l’origine humaine de son pouvoir, elle resta toujours convaincue que son devoir monarchique avait une origine divine. Les cérémonies de la Couronne sont des rites religieux. Les droits du trône sont des prérogatives sacrées.

Le 28 juin 1838, elle tient à écrire elle-même sur son journal de jeune fille le récit du couronnement. Elle intercale le texte des prières, après l’avoir annoté. Elle énumère tous les détails des vêtemens. « Je retirai ma robe cramoisie et mamante, et je revêtis la tunique de drap d’or que Ion passa pardessus une curieuse sorte de petite robe de linon, garnie de dentelle… On me fit alors asseoir sur le trône de Saint-Edouard,