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Parlement et d’élargir le rôle de la Couronne. Elle n’y a jamais songé. Chaque fois qu’un ministère est culbuté, elle ne s’inspire, pour le remplacer, que d’un critérium tout utilitaire : Quel est l’homme capable de grouper une majorité parlementaire ? Les crises peuvent être longues. Parfois les partis sont fractionnés en des sous-groupes. Les chefs sont divisés par des rivalités personnelles.

La Reine interroge, réfléchit, écrit. Elle multiplie les conversations, les lettres et les mémorandums, mais elle ne perd jamais de vue, quels que soient ses sentimens, le but à atteindre : donner satisfaction à la majorité parlementaire. Elle pousse le respect des Communes si loin, que, le 11 mai 1858, elle refuse au Cabinet conservateur, à lord Derby, « la permission d’annoncer que, au cas où le gouvernement serait battu, la Reine l’autoriserait à dissoudre le Parlement. » Il lui était impossible « de se décider à l’avance. » Et « ce serait anticonstitutionnel de la part de lord Derby de brandir cette menace, avec la permission de la Reine, au-dessus de la tête des Communes, pour influencer leur vote. »

Elle a loyalement contresigné toutes leurs décisions. Elle n’a jamais barré la route à une réforme vraiment populaire. Elle a accueilli les revendications économiques des classes moyennes avec enthousiasme, leurs revendications électorales avec sérénité. Lorsque sir Robert Peel est renversé au lendemain de l’abrogation des droits sur les blés, le 22 juin 1846, il exprime à la Reine sa « reconnaissance, » « pour l’aimable intérêt qu’elle lui avait manifesté au cours de cette lutte ardue. » Malgré les conseils du roi Léopold, qui considérait que le libre-échange porterait un coup redoutable à la propriété terrienne et aux forces conservatrices, Victoria, éclairée par son mari, maintient que « l’agitation contre la loi des blés était telle, que, si Peel n’avait pas sagement réalisé cette réforme, — pour laquelle tout le pays le bénit, — un soulèvement aurait bientôt eu lieu, et on eût été forcé d’accorder ce qui a été concédé comme une faveur. » On a dit que prévoir, c’est gouverner. Il serait aussi exact de dire, que transiger est la première maxime de l’art politique. La reine Victoria en était pénétrée. Gladstone, le doctrinaire, qui eut avec elle tant de débats et tant de conflits, a affirmé, dans un solennel témoignage, qu’elle avait toujours évité les résistances sans issue, les impasses, les deadlocks.