Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les leçons du vieux cantor lui avaient enseigné le secret de la « forme » extérieure de son art, un hasard nouveau est venu lui en fournir, pour ainsi dire, le contenu idéal, en lui faisant rencontrer, vers le milieu de 1831, une figure d’homme qui allait devenir pour lui, d’un seul coup, l’incarnation parfaite du « héros » toujours vainement rêvé et cherché jusque-là. Parmi les chefs et soldats vaincus de la récente révolution polonaise, arrivés en foule à Leipzig, et dont les moindres avaient déjà de quoi séduire très profondément son imagination juvénile, les circonstances lui ont permis de vivre pendant plusieurs mois dans l’intimité d’un certain comte Vincent Tyszkiewicz, « qui tout de suite l’avait attiré par son admirable Apparence de vigueur corporelle et l’extrême beauté virile de son visage. » Il l’avait rencontré, d’abord, dans une salle de concerts, où la Symphonie en ut mineur de Beethoven l’avait transporté d’enthousiasme plus encore que d’ordinaire, à l’entendre jouer là en « présence d’un groupe nombreux de figures héroi’ques » qu’il voyait « toutes rayonnantes sous l’effet de l’émotion réveillée en elles par l’œuvre du maître. » Et bientôt des relations plus familières s’étaient établies entre le jeune musicien romantique et ce gentilhomme polonais qui semble bien, en effet, avoir possédé au plus haut degré quelques-unes des plus admirables qualités intellectuelles et morales du génie de sa race.


Le comte Vincent Tyszkiewicz unissait à une attitude pleine de calme noblesse une sûreté d’esprit et un abandon qui m’étaient absolument nconnus. De voir un homme de manières et d’âme si royales vêtu d’une simple veste à brandebourgs et coiffé du béret de velours rouge, ce spectacle anéantit aussitôt en moi tout le respect dont j’avais honoré, jusqu’alors, la tournure apprêtée de coqs de combat des héros de notre monde d’étudians. Aussi fus-je ravi de retrouver bientôt ce même homme dans la maison de mon beau-frère Frédéric Brockhaus, et de l’y rencontrer ensuite, pendant longtemps, presque à demeure… J’y rencontrai également d’autres émigrés notables, dont les uns me frappaient par leur raffinement aristocratique, d’autres par une altitude mélangée de bravoure guerrière et de mélancolie : mais la seule impression durable que j’aie conservée de ces entretiens a été celle que m’a produite ce comte Vincent Tyszkiewicz, passionnément aimé et vénéré, qui toujours est resté pour moi fidéal d’un homme vraiment viril. Je dois ajouter que cet homme excellent, de son côté, me témoignait une amitié sincère. Presque tous les jours je venais le voir, et volontiers il sortait avec moi de sa chambre pour s’abandonner plus librement, dans quelque coin de campagne, à l’inquiète tristesse qui l’accablait.


Ce « type idéal d’un homme vraiment viril, » offrant au jeune mu-