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prosaïque. C’est au contraire une région pleine de contrastes, de grâces variées, imprévues et attirantes, et aussi de grandes harmonies, là riantes et radieuses, ici graves et solennelles, ailleurs mystérieuses et sombres. De son sol émane une vertu vivifiante, une poésie douce et forte montant vers le ciel comme un encens, et dont quiconque foule ce sol, — étranger ou indigène, — subit le charme pénétrant. » Ainsi s’exprime le dernier et le plus pieux de ses historiens[1], et l’on ne peut que lui donner raison. Oui, si variée qu’elle soit d’aspects, — car il y a plusieurs Bretagnes, — cette noble terre d’Armor, « riche d’âme et gueuse d’écus, » ne ressemble à aucune autre, et l’on comprend, à la parcourir, la filiale et profonde tendresse qu’elle inspire à tous ses enfans. L’impression qui domine et se dégage assez vite de l’ensemble du pays, c’est une mélancolie, tantôt âpre et presque farouche, tantôt très douce, enveloppante et insinuante. La mélancolie, elle sort de partout en Bretagne, de ces côtes incessamment rongées par une mer implacable, de ce sol de granit, le plus ancien de notre France, usé et nivelé par les vents et les pluies[2], de ces brumes pénétrantes, de ces landes monotones, de ces arbres rabougris, courbés en deux par le noroît… Et involontairement, le mot si juste de Renan vous remonte à la mémoire, et l’on se surprend à le murmurer tout bas : « Et la joie même y est un peu triste… »

Cette impression de tristesse, il n’est pas besoin, pour l’éprouver, d’aller s’asseoir à la pointe de Penmarc’h, ou d’aller contempler les sombres monumens mégalithiques de Locmariaquer ou de Carnac. Même quand on voyage dans la partie de la Bretagne qui, plus rapprochée de la Normandie, la rappelle à bien des égards, et surtout si c’est l’automne, on se sent vite gagné par cette sorte de charme triste, qui est si particulier à ce pays. Quelle ville plus lugubre que Rennes ! Dol, Dinan,

  1. A. de la Borderie, Histoire de Bretagne, Picard, 1895, t. I, p. 1-2.
  2. Vers la fin de l’époque primaire, le sol breton était occupé par une haute chaîne de montagnes, analogue à nos Alpes, et qui, aujourd’hui, ne se survit guère à elle-même que par les tristes monts d’Arrée : le point culminant actuel, le mont Saint-Michel de Braspart, n’a que 391 mètres d’altitude.