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quelque sinistre entreprise. « Petite ville, riche, sombre et triste, dit Michelet, nid de vautours ou d’orfraies, tour à tour île ou presqu’île, selon le flux ou le reflux ; tout bordé d’écueils sales et fétides, où le varech pourrit à plaisir. Au loin, une côte de rochers blancs, anguleux, découpés comme au rasoir. » Sur cette plage où l’auteur d’Atala joua tout enfant, au pied de ces sombres remparts, en face de cette mer qui tant de fois emporta ses rêves, comme lui on resterait de longues heures à « béer aux lointains bleuâtres, à écouter le refrain des vagues parmi les écueils. » La rêverie, le reploiement de l’âme sur elle-même dans un isolement un peu farouche, ce sont des sentimens qu’on éprouve aisément ici. Et quand on est assis au Grand-Bé, et que la mer à nos pieds vient s’abattre, furieuse, écumante, ou bien encore, quand, par une nuit sans lune, on entend les flots se briser sur la grève avec un mugissement lugubre, alors on revit avec une intensité singulière les impressions inoubliables qui remplirent cette âme enfantine ; alors, la poésie de l’Océan, dans ce qu’elle a de douloureux, de passionné et de voluptueux tout ensemble, se révèle à nous avec une rare puissance. Et l’on comprend que René ait pu dire que « ces flots, ces vents, cette solitude furent ses premiers maîtres. » « Ces instituteurs sauvages, » comme il les appelle, n’ont pas été sans lui apprendre quelque chose.

Amiel disait qu’un paysage est un état d’âme : il est au moins incontestable qu’un paysage crée, ou suggère un état d’âme. Mélancolie et poésie : il semble que ces deux mots expriment assez bien l’état d’âme que fait naître en nous le paysage breton.


II

Cet état d’âme, la terre bretonne la fait naître aussi chez la plupart de ses enfans ; idéalisme et tristesse, si ce n’est pas toute l’âme bretonne, tout le génie breton, nul doute que ces deux traits ne fassent partie intégrante de sa définition. Joignons-y un autre trait essentiel, et qui, lui aussi, tient peut-être au sol, un esprit « d’indomptable résistance et d’opposition intrépide. » « En Bretagne, dit encore Michelet, sur le sol géologique le plus ancien du globe, sur le granit et le silex, marche la race primitive, un peuple aussi de granit. Race rude, d’une grande noblesse, d’une finesse de caillou. » Dans cette région