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capable de prévoir en quelque manière et de caractériser d’avance l’homme de talent ou de génie dont la naissance serait comme l’idéale récompense des traditions pieusement transmises, des nobles efforts obscurs et des hautes vertus ignorées.

Nous ne connaissons pas assez, pour vérifier sur eux la pensée de Gœthe, les « très vaillans chevaliers, » les « barons puissans et généreux » qui, depuis Brient ou Briand, fils aîné de Thiem, noble seigneur breton du XIe siècle, jusqu’à René-Auguste de Chateaubriand, comte de Combourg, le père du grand écrivain, se seraient « bornés à vivre dans leurs châteaux, en réputation d’honneur, d’hospitalité et de piété. » Il n’est pourtant point téméraire de croire que l’orgueil nobiliaire, que la hauteur aristocratique durent être de tradition dans une famille qui prétendait descendre des ducs de Bretagne, et qui se vantait d’avoir contracté des alliances avec les Rohan, les Tinténiac, les Duguesclin, et même d’avoir mêlé son sang à celui des races royales de France, d’Angleterre et d’Espagne : « vieilles misères » sans doute, mais dont l’auteur des Mémoires d’Outre-Tombe n’a pas fait si « bon marché » qu’il veut bien le dire. D’autre part, si la devise primitive des Chateaubriand : Je sème l’or, a eu apparemment sa raison d’être, elle convient trop bien encore à René pour que nous ne soyons pas tentés d’expliquer par une prédisposition héréditaire l’origine de ses fastueuses prodigalités. Et enfin, ne peut-on pas conjecturer qu’une famille, dont une seule branche a fourni au moins quatre croisés et un évêque de Nantes, qui a vu sortir d’elle nombre de gens d’Eglise et de hardis chevaliers, qui a « teint de son sang les bannières de France, » a dû transmettre à ses derniers rejetons, avec le culte de la religion des ancêtres et un grand fond de loyalisme, le goût de l’action, l’instinct combatif, et l’habitude chevaleresque de lutter, de se dépenser pour de hautes et nobles causes ? L’ennemi déclaré de « Buonaparte, » l’homme d’Etat de la Restauration, l’adversaire des derniers Encyclopédistes, l’auteur enfin du Génie du Christianisme n’aurait ainsi point démenti son origine.

A mesure que l’ordre des temps nous rapproche de lui, il semble que tes traits de la physionomie familiale deviennent plus particuliers, plus précis, plus individuels. D’abord, nous voyons paraître la disposition littéraire : un des oncles paternels de René s’était voué à des recherches d’érudition historique ; un