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avait compté jusqu’à 4 000 élèves, et qui, trois ans plus tard, passait de la direction des Jésuites expulsés à celle de prêtres séculiers, il devait compléter ses études de latin, de grec, — il avait déjà pour cette langue un penchant décidé, — et de mathématiques. « Quoique l’éducation, nous avoue-t-il, y fût très religieuse, ma ferveur se ralentit. Le grand nombre de mes maîtres et de mes camarades multipliait les occasions de distraction et de chutes. » Puis, ce furent à Brest, dans l’attente d’un brevet d’aspirant, les libres études, des « idées vagues » qui lui viennent « sur la société, ses biens et ses maux, » les longues promenades sur le port, les rêveries sans fin au bord de la mer, des tristesses sans cause, mille aspirations sans objet, et tous les troubles d’une sensibilité débordante, tous les vagabondages d’une « jeune imagination qui se joue dans ces espaces immenses. » Un beau jour, — il avait seize ans, — il tombe comme du ciel à Combourg, déclare, pour « gagner du temps, sa volonté ferme d’embrasser l’état ecclésiastique : » « sa mère fut ravie ; » on l’envoie à Dinan pour y compléter ses études classiques ; mais « il savait mieux le latin que ses maîtres ; » à chaque inslant, sous mille prétextes, il revenait dans ce Combourg, où il avait déjà passé bien des vacances, où déjà il avait eu bien des échappées douloureuses ou troublantes sur la vie réelle, et qui l’attire par on ne sait quel charme de tristesse et de mystère. Et son père, « trouvant économie à le garder, » le voilà « insensiblement fixé à Combourg. »

Et alors commence pour lui pendant deux années, entre ses parens et sa sœur Lucile âgée de vingt ans, dans ce vieux château plein de souvenirs et de légendes, cette existence extraordinaire qu’il nous a contée en des pages inoubliables. Existence oisive et folle de jeune cheval lâché sans frein, sans contrôle et sans guide à travers ses passions naissantes. Dans ses courses effrénées parmi les landes et les bois, ou là-haut, dans son « donjon » solitaire, toutes les ardeurs de sa fougueuse nature s’exaltent et se donnent carrière. Des premières fièvres de son adolescence, de ses premiers rêves de tendresse, de gloire et d’honneur il se compose alors ce « fantôme d’amour, » cette idéale, « sylphide » qu’il devait toute sa vie poursuivre, création maladive de son imagination débridée, sorte d’hallucination physique et morale dont les suites semblent l’avoir conduit comme aux bords de la folie et du suicide, et qui, en tout cas,