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des accès de jalousie et de méchanceté chez des enfans au berceau et à la mamelle. Il a suivi avec une rare finesse l’enchaînement des faits physiologiques et psychologiques. « Je commençais à rire, dit-il, en dormant d’abord, ensuite éveillé. » C’est là une observation dont aucune mère n’aura de peine à reconnaître la justesse. « Il rit aux anges, » ai-je souvent entendu dire autrefois, pour désigner ce premier sourire, signe naturel d’une respiration libre et douce. Dans sa description, saint Augustin n’est pas aussi poétique que la nourrice populaire ; mais il est plus scientifique. « Peu à peu, écrit-il, je remarquais où j’étais, je voulais marquer mes volontés à qui pouvait les accomplir ; mais en vain ! elles étaient au dedans, on était au dehors, et nul ne donnait à autrui entrée dans mon âme. Aussi me démenais-je de tous mes membres, de toute ma voix, de ce peu de signes semblables à mes volontés que je pouvais, tels que je le pouvais, et toutefois en désaccord avec elles. » Qui ne reconnaîtrait encore là les petites colères des enfans, la peine qu’on a souvent à les « comprendre, » les hypothèses échangées sur la nature de ces vagues désirs, que souvent le hasard seul permet d’apaiser ? Est-ce là un langage ? Sont-ce même des signes intentionnels ? C’en est au moins la matière première : elle n’a pour le moment qu’une forme, celle de l’appel. Mais bientôt l’enfant discerne de lui-même et reconnaît ceux qui résistent à cet appel, ceux qui y répondent, ceux qui y répondent de manière à le satisfaire plus ou moins. C’est pourquoi il pleure devant ceux qui y répondent mal et sourit devant ceux qui y répondent mieux à son gré.

Comment ce débrouillement s’opère-t-il peu à peu ? C’est ce que saint Augustin a encore très bien vu. « Déjà l’enfant à la mamelle était l’enfant qui essaie la parole. Je me souviens de cet âge et j’ai remarqué depuis comment alors j’appris à parler, non par le secours d’un maître qui m’ait présenté les mots dans un certain ordre méthodique, comme les lettres bientôt me furent montrées, mais de moi-même et par la seule force de l’intelligence que vous m’avez donnée, ô mon Dieu ; car ces cris, ces accens variés, cette agitation de tous les membres n’étaient que des interprètes ou fidèles ou inintelligens qui trompaient mon cœur impatient de faire obéir à ma volonté. J’eus recours à ma mémoire pour m’emparer des mots qui frappaient mon oreille [et dont j’avais senti l’efficacité, aurait-il