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toile couvrait à peine sa ceinture. Les anneaux d’or de ses chevilles prouvaient une race noble. Ses bras étaient liés sur son des avec des cordes et des gouttes de sang tachaient sa peau blanche. Elle était retenue au col par une corde tressée de crin de cheval aussi noire que ses cheveux défaits, qui retombaient sur son des et ses seins palpitans. Ardjasp reconnut avec terreur la femme de la source, Ardouizour… Hélas ! combien changée ! Elle était blême d’angoisse, aucun dard ne sortait de ses yeux mornes. Elle baissait la tête, la mort dans l’âme.

Le roi Zohak dit : « Cette femme est la plus fière captive des Aryas rebelles du mont Albordj. Je l’offre à celui d’entre vous qui saura la mériter. Mais il faut qu’il se voue au dieu Angra-Mayniou, en versant de son sang dans le feu et en buvant du sang de taureau. Il faut ensuite qu’il me prête serment, à la vie, à la mort, en plaçant sa tête sous mon pied. Celui qui fera cela, qu’il prenne Ardouizour et en fasse son esclave. Si personne n’en veut, nous l’offrirons en pâture aux deux serpens d’Ahrimane. »

Ardjasp vit un long frisson secouer, des pieds à la tête, le beau corps d’Ardouizour. Un chef touranien, au teint orange, aux yeux bridés, se présenta. Il offrit le sacrifice du sang devant le feu et les deux serpens, il plaça sa tête sous les pieds de Zohak et fit le serment. La captive avait l’air d’une aigle blessée. Au moment où le Touranien brutal mit la main sur la belle Ardouizour, celle-ci regarda Ardjasp. Un dard bleu sortit de ses yeux et un cri de terreur de sa gorge : « Sauve-moi ! » Ardjasp s’élança l’épée nue contre le chef, mais les gardiens de la captive le saisirent et allaient le transpercer de leurs lances quand le roi Zohak s’écria : « Arrêtez ! ne touchez pas à ce chef ! » puis se tournant vers le jeune Arya :

— Ardjasp, dit-il, je te laisse la vie et je te donne cette femme, si tu me prêtes serment et te soumets à notre Dieu.

À ces mots, Ardjasp se prit les tempes, baissa la tête et rentra dans le rang des siens. Le Touranien saisit sa’ proie, Ardouizour poussa un nouveau cri, et cette fois-ci Ardjasp se serait fait tuer, si ses compagnons ne l’avaient retenu en le serrant à la gorge jusqu’à l’étouffer. Le jour pâlit, le soleil devint noir et Ardjasp ne vit plus qu’un fleuve de sang rouge, le sang de toute la race touranien ne, qu’il brûlait de verser pour la victime, pour la divine Ardouizour, blessée et traînée dans la boue. Ardjasp tomba à terre et perdit connaissance.