Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 3.djvu/619

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vues limitées et toutes les allures d’un roi mérovingien qui aurait voulu introduire de prodigieuses innovations étrangères dans l’exploitation de ses « villas » de Guise ou de Verberie. Son éducation ne lui a permis 4’apprécier de notre civilisation que certains moyens matériels. Et il faut commencer par faire effort pour bien mettre Ménélik dans son milieu, si l’on veut comprendre les développemens et surtout estimer les chances de durée de son œuvre.

Le prince Sahala Meriem, le futur Ménélik, né en 1844 du roi du Choa, Haeli Melicoth, commence par subir un destin qui montre clairement ce qu’est l’Ethiopie. Le roi du Choa a dû se soumettre, à Kassa, au soldat heureux qui s’est fait Négous sous le nom de Théodoros, et lui donner son fils en otage. Sahala Mériem, selon l’usage, est interné par le vainqueur sur un amba, un de ces témoins géologiques laissés par l’érosion, qui coupent de leurs silhouettes rigides l’horizon des hauts plateaux et qui servent de prisons et de repaires aux chefs éthiopiens. Cependant Théodoros veut s’attacher l’héritier Choan, il lui offre la main d’une de ses filles ; Sahala Mériem affecte d’être heureux et flatté, mais seulement pour avoir l’occasion, à la faveur des préparatifs de la noce, de s’enfuir avec la complicité de l’eunuque que le Négous avait chargé de le garder sur l’amba de Magdala.

Haeli Melicoth meurt et, en 1866, Sahala Meriem se proclame roi du Choa, en prenant le nom de Ménélik II. C’est annoncer une ambition audacieuse, puisque c’est revendiquer la succession de Ménélik Ier, personnage que la légende fait naître de Salomon et de la reine de Saba et qui est comme le Pharamond de l’Ethiopie. Mais Ménélik sait qu’il peut se permettre cette audace : il a vu baisser l’étoile de Théodoros, entouré de tant d’inimitiés que l’expédition anglaise de lord Napier, qui va monter pour délivrer le consul britannique et quelques Européens emprisonnés avec lui par le Négous, rencontrera fort peu de résistance. Le jour de Pâques 1868, Théodoros quitte la scène du monde en bel aventurier : il a été vaincu, il libère ses prisonniers qu’il aurait pu se donner le suprême plaisir de massacrer, il envoie en même temps 1 000 vaches et 500 moutons aux Anglais en les invitant à faire bonne chère et il se brûle la cervelle sur son repaire de Magdala.