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productif que Ménélik remplaça par la conquête. Intelligent et conseillé par des Européens, il comprit qu’il y avait à faire des pays gallas autre chose qu’un terrain de chasse à l’homme. Mais ce n’est pas du premier coup qu’il se rendit compte de l’avantage qu’il y aurait à tirer un tribut régulier de ces terres si belles qu’on trouve sur certaines d’entre elles, disent les Ethiopiens, « plus de miel que de boue. » Lui aussi commença par la razzia, glorieuse et féroce. Les récits des voyageurs européens nous le montrent, dans ses premières expéditions, s’amusant à essayer lui-même sur des malheureux Gallas pourchassés dans la brousse l’effet des fusils de dernier modèle qui lui arrivaient d’Europe. Peu à peu, cependant, au lieu de passer comme des sauterelles, les gens de Ménélik restèrent comme garnisaires et percepteurs d’impôt ; et, laissant ainsi des points d’appui dans le pays, ils purent descendre toujours plus avant dans le Sud. De plus en plus, la conquête se régla. En 1884, Ménélik supprimant l’esclavage rendit inutile la chasse à l’homme. A mesure que son souci du voisinage européen se fit plus pressant, ses ordres devinrent plus stricts. En 1897, le Dedjaz Tessama, qui achevait la conquête des pays gallas du Sud-Ouest, déclarait à M. de Bonchamps, envoyé à travers l’Ethiopie au-devant de la mission Marchand : « Autrefois je faisais la guerre pour tuer, ravager, piller et ramener dans mon pays du bétail et des esclaves. L’Empereur ne veut plus que nous agissions de la sorte : il entend que nous fassions la guerre pour pacifier le pays. Nous ferons donc sa volonté. » Et Tessama ne plaisantait pas lorsqu’il s’agissait de faire respecter cet ordre. Il en cuisait au guerrier qui rapportait des trophées sanglans pour se donner le droit de s’enduire la tête de beurre selon la mode et les rites de l’honneur militaire du pays. « Chez les Adjibas, un soldat avait émasculé un indigène. Le dedjaz lui fit attacher à la bouche les trophées qu’il rapportait. Le coupable fut ainsi promené, les mains liées, à travers le camp, puis il reçut devant ses camarades réunis cinquante coups de courbache[1]. »

Ce n’est pas que ces conquêtes fussent encore rendues très humaines. Si une tribu résistait, on lui inculquait vigoureusement le respect de la force éthiopienne. « Quand la première invasion, disait philosophiquement un chef éthiopien, ne ravage pas

  1. Vers Fachoda. A la rencontre de la mission Marchand, à travers l’Ethiopie, par M. Charles Michel, second de la Mission de Bonchamps ; Plon.