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assis entre des châssis, parmi le « fuselage. » Ce serait une figure peut-être pittoresque, mais point du tout plastique et que ses gestes ne sauveraient point, car elle n’en fait pas. Une loi esthétique, très rigoureuse et qui ne s’est pas encore trouvée en défaut, veut que le geste de l’homme diminue à mesure que sa puissance mécanique augmente. Le chauffeur fait de moindres gestes que le cocher, le conducteur de canot automobile que le rameur, le conducteur de « faucheuse » mécanique ou de « moissonneuse-lieuse, » que le faucheur ou le moissonneur. Ce n’est donc pas le geste professionnel de l’aviateur qui peut nous le révéler.

A qui voudra le dresser sur un socle monumental, une transposition hardie s’impose, comme elle s’est imposée aux Grecs, lorsqu’ils ont voulu figurer une force de la Nature sous les apparences d’un être de chair et de sang, ou aux tailleurs de pierre du Moyen âge, lorsqu’ils ont symbolisé les vertus, les vices, les martyres, au porche des cathédrales. Un objet symbolique, un outil, un bandeau, un masque, des talonnières, un caducée, une horloge, une roue, un cabestan, une ancre leur suffisait. Et cet outil était souvent réduit de sa grandeur réelle à la dimension d’un joujou, pour ne point empiéter sur l’unité plastique de la figure. La figure seule, par sa construction, par son expression, par son geste simple et particulier, signifiait aux yeux le progrès moral ou la victoire sur les élémens : le mythe qu’elle incarnait. Le Claus Sluler que M. Bouchard nous montre, méditant le coup qu’il va frapper, le ciseau et le maillet en mains, n’eût certes pas empêtré sa, statue de l’immense appareil d’un aéroplane de grandeur naturelle, mais peut-être eût-il cherché ; pour sa figure, le geste qui accompagne un nouvel essor, le geste de confiance et d’espoir, le geste du fauconnier qui décoiffe le gerfaut et le jette aux profondeurs du ciel, le geste du charmeur d’oiseaux qui élève le bras et, sur la plateforme de sa main ouverte, flatte l’oiseau battant des ailes et lui donne la volée…


ROBERT DE LA SIZERANNE.