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des maîtres, était fort teinté de classicisme, sa sœur lui ayant appris à s’instruire chez Goethe. Il s’était fait une petite spécialité dans l’acrostiche satirique, et tour à tour, sans trop de malice, il faisait le portrait de ses amis et de ses ennemis ; Rahel lui avait imposé, du reste, comme condition, lorsqu’il lisait ses vers, de ne jamais s’attaquer qu’à des personnes présentes et qui fussent en mesure de lui répondre.

Un jour, devant un petit groupe, dans l’embrasure d’une fenêtre, Frédéric Schlegel se permit une vive sortie contre Mlle Unzelmann, la grande tragédienne du moment, qui se tenait dans une autre partie du salon : « Elle n’a aucune idée de l’art ; c’est en vain que je lui ai fait quelques observations sur ses rôles ; elle n’a rien compris à ce que je lui ai dit, m’a donné les plus sottes réponses ; elle ne paraît pas savoir elle-même comment elle joue. » Le major Schack, ayant entendu les dernières paroles : « On ne sait vraiment, dit-il, comment vous satisfaire, messieurs les critiques. La Unzelmann comprend les choses à sa manière ; elle les joue et les met sous vos yeux, et vous ne pouvez vous empêcher de l’applaudir. Que vous faut-il de plus ? Qu’elle voie les choses à votre point de vue ? qu’elle raisonne comme vous ? qu’elle se transforme eu bas bleu, la divine créature ! Fi ! autant vaudrait vous demander à vous de jouer comme elle et de montrer d’aussi belles épaules. » À ce moment, une voix retentit : « Bravo ! bravo ! mon cher Schack ! » C’était la voix de Rahel, qui s’était approchée à son tour. Mais Schack ajouta : « N’ai-je pas bien récité ma leçon, messieurs ? Car ce que je viens de dire, je l’avais entendu l’instant d’auparavant de la bouche même de ce malicieux petit lutin. »

Parmi les familiers de la maison figurent en première ligne deux hommes qui n’ont que peu de rapport avec la littérature, mais qui ont joué diversement leur rôle dans l’histoire de leur temps ; ce sont le publiciste Frédéric Gentz et le prince Louis Ferdinand de Prusse.

Frédéric Gentz était un assemblage de toutes les faiblesses et de toutes les inconséquences ; viveur effréné dans sa jeunesse pamphlétaire sans conscience dans son âge mûr, si toutefois i eut jamais une maturité ; vendant tour à tour sa plume à la Prusse, à l’Angleterre et à l’Autriche ; porte-parole de la Sainte Alliance, après avoir été l’apologiste de la Révolution ; toujours