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précédentes années devait être maintenue, ou bien amendée, ou même détruite. Car détruire son œuvre, soi-même, parce qu’on le veut, n’est-ce pas encore commander à son œuvre, n’est-ce pas encore être le maître ? Il songea que Bennigsen, l’un des chefs du parti national-libéral, l’avait à plusieurs reprises soutenu, avec zèle ; il prit la décision d’appeler Bennigsen au pouvoir, à ses côtés. L’Empereur trouvait qu’on avait trop libéralisé ; le chancelier, lui, voulait libéraliser plus encore. L’orientation théologique de l’Église protestante était, pour lui, le moindre des soucis. Il considérait Bennigsen comme un collaborateur capable d’être un serviteur : cela lui suffisait. Il renouait avec cet homme politique, à la fin de décembre, des pourparlers très sérieux ; il ne s’agissait de rien de moins que de chasser Eulenburg et d’appeler au ministère même de l’Intérieur Bennigsen en personne, ce Bennigsen qui plus tard, lorsque la Prusse reviendra sur les lois de Mai, sera leur dernier défenseur. On dirait, peut-être, que ce serait une bravade contre le peuple qui avait, au renouvellement du Reichstag, marchandé sa confiance aux nationaux-libéraux ; une bravade contre le souverain, qui était d’humeur à leur refuser la sienne ; mais qu’importait à Bismarck ?

Bennigsen alléché posait des conditions ; il exigeait que deux au moins de ses amis politiques entrassent dans le ministère. Mais pendant l’une des interruptions que subissaient les pourparlers, un message de Guillaume parvint à Bismarck : en raison de « l’allure tranquille et conservatrice » qu’il souhaitait à son gouvernement, l’Empereur, le 30 décembre 1877, opposait aux projets bismarckiens son veto.

Bennigsen représentait la majorité parlementaire qui avait dirigé le Culturkampf : Bennigsen prenant le pouvoir à côté de Bismarck, c’eût été le raffermissement de cette coalition entre le chancelier et les nationaux-libéraux, d’où le Culturkampf était sorti ; c’eût été, aux dépens de l’Eglise et contre l’Église, le raffermissement de l’alliance entre la raison d’État et les « élémens discutables » du Culturkampf. La raison d’Etat, représentée par Bismarck, devait un jour mettre un terme à cette lutte même qu’elle avait commandée ; les « élémens discutables, » eux, n’y concevaient d’autre terme que la mort même de l’Eglise ennemie. De la définition même de ces deux forces alliées, il résultait qu’un jour, elles se sépareraient, que l’une