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sonores des instrumens et des voix. L’ensemble n’y écrase jamais de sa masse le détail agréable et varié des mouvemens, des modulations et des timbres. On aimerait de couper une scène, fâcheuse entre toutes, où Soledad et le prêtre échangent, sur d’étranges matières, des propos non moins singuliers et déplacés pareillement dans l’une et l’autre bouche. Il est heureux — pour cette fois — que la musique empêche, plus qu’à demi, d’entendre les paroles. Et celles-ci, du moins deux ou trois de celles-ci, gâteront encore une fin d’acte qui sans cela pourrait être tout à fait belle.

Par contre, c’est une trouvaille d’avoir tout d’un coup substitué au français le latin, le latin d’une oraison douloureuse et pénitente, sur les lèvres, tremblantes de passion et de honte, de Mosen Iago. On lit, en note, à cet endroit de la partition : « Dans l’ombre du latin se réfugie, pour mieux pleurer, l’âme du personnage. Ce texte devra donc être exprimé si cruellement, avec une telle intensité de souffrance, que, malgré la neutralité des mots, l’inquiétude régnera de ce qu’ils peuvent cacher. » J’entends bien, à peu près bien, ce que veut dire cette littérature. Mais la musique le dit mieux. Également tourmentés et « cruels, » l’orchestre et la voix expriment en effet le recours du malheureux à l’idiome de la prière et de l’Église, de son Église, pour y pleurer sans doute comme dans un asile, mais peut-être aussi pour y lutter, pour s’y défendre désespérément. L’effet, non seulement dramatique, mais verbal, est original, il est puissant, et d’une puissance que la musique redouble, centuple encore.

Après cette crise, l’acte s’achève dans le calme et l’immobilité, dans une sorte de douloureux hébétement. Peu de paroles et peu de sons. Deux ou trois, mots pourtant, nous l’avons dit, sont encore de trop en ce dialogue sombre du prêtre et de la novia. Ceux-là, malheureusement, une musique expressive, éloquente, ne leur donne que trop de relief. Elle est belle ici, la musique, toute la musique : belle d’énergie et de sobriété, belle de chant et de déclamation, belle enfin d’horreur muette, quand elle creuse entre les répliques rares de profonds abîmes de silence… Le voilà, malgré tout, malgré l’erreur et l’excès d’aujourd’hui, le musicien d’hier, et nous continuons de croire, d’espérer en lui.

La représentation matérielle, qui tient dans la Jota tant de place, trop de place, y est portée à la dernière puissance. M. Albert Carré n’a peut-être jamais livré, ni gagné, plus terrible bataille. Et vraiment il eût pu saluer du salut de Shakspeare : « O ma belle guerrière ! »